Une étude d’ADP Research révèle un écart préoccupant entre la perception des compétences acquises et les besoins de développement exprimés par les salariés. Ce déficit d’upskilling compromet les perspectives d’évolution, affecte l’engagement et fragilise la fidélisation. Il constitue aussi un puissant levier de transformation organisationnelle, à condition d’être aligné sur les spécificités métier et territoriales.

Il ne suffit plus d’avoir un diplôme ou de disposer d’une expertise reconnue pour se sentir prêt à franchir une nouvelle étape dans sa carrière. L’étude People at Work 2025 d’ADP, menée auprès de près de 38 000 travailleurs sur 34 marchés, met en lumière une réalité moins linéaire : seuls 24 % des salariés dans le monde estiment avoir les compétences nécessaires pour évoluer au cours des trois prochaines années. Et ce taux chute à 13 % chez les salariés effectuant un travail répétitif, bien qu’ils représentent encore 20 % de l’échantillon mondial.

Ce sentiment d’impréparation touche tous les types de salariés, mais il est exacerbé chez ceux qui ne bénéficient pas de formations sur le terrain. Dans les faits, seuls 3,8 % des répondants ont acquis de nouvelles compétences pratiques au cours de leurs deux premières années d’emploi. Un chiffre qui tranche avec les discours managériaux sur la formation continue et soulève une question stratégique : pourquoi les dispositifs d’upskilling ne suffisent-ils pas à combler les écarts perçus de compétence ?

Un impact mesurable sur la fidélisation et la productivité

Le lien entre upskilling et fidélisation des talents n’est plus une hypothèse : il est désormais quantifié. Les salariés qui considèrent que leur employeur investit activement dans leur montée en compétences sont deux fois plus nombreux à ne pas envisager de départ, même lorsqu’ils se sentent compétents. En parallèle, ces mêmes salariés sont trois fois plus enclins à se dire « très productifs » et près de six fois plus susceptibles de recommander leur entreprise.

Les données issues de la paie analysées par ADP aux États-Unis viennent étayer cette corrélation : les salariés promus après un processus d’upskilling enregistrent une progression salariale moyenne de 37 %. Pourtant, 75 % quittent leur poste sans avoir jamais été promus. Le manque d’opportunités d’évolution n’est donc pas seulement une frustration individuelle : c’est une perte d’efficience pour les entreprises, notamment dans les secteurs où le turnover est structurellement élevé.

Des clivages forts selon le type de travail et le genre

L’accessibilité à la formation sur le terrain reste très inégale. L’étude montre que seuls 8 % des salariés effectuant un travail répétitif déclarent que leur entreprise investit dans leur développement. À l’inverse, ce taux grimpe à 26 % chez les travailleurs du savoir, davantage perçus comme stratégiques ou porteurs d’innovation. ADP observe également des écarts significatifs entre les hommes et les femmes, notamment en Amérique du Nord, où l’écart de perception dépasse 10 points en défaveur des femmes concernant l’investissement de l’employeur en formation.

Ces inégalités se traduisent par une volatilité accrue des profils peu ou mal accompagnés. Chez les salariés au travail répétitif, la démission devient deux fois plus probable en l’absence de formation, même si la compétence perçue est présente. Les employeurs peinent à sortir d’une logique utilitariste où seuls les profils perçus comme prometteurs ou « stratégiques » bénéficient de plans de formation. À terme, cette approche aggrave la polarisation des compétences et fragilise les organisations sur les segments opérationnels.

Un engagement corrélé à l’autonomie et à la qualité des équipes

En 2024, le taux d’engagement mondial atteint 19 %, au plus haut depuis dix ans. Mais cet indicateur recouvre des disparités importantes. ADP identifie une variable décisive : l’autonomie dans le choix du lieu de travail. Les salariés ayant la liberté de travailler sur site ou à distance à leur convenance sont significativement plus engagés, indépendamment de leur modalité effective. Ce constat rejoint les analyses récentes sur le rôle de la flexibilité perçue dans la motivation et la performance.

Autre facteur révélateur : le sentiment d’appartenance à une « bonne équipe ». Moins de 20 % des salariés estiment faire partie de la meilleure équipe qu’ils aient connue, mais ceux qui le pensent sont cinq fois plus engagés. L’environnement de travail immédiat — cohésion, reconnaissance, qualité managériale — agit comme un catalyseur ou un inhibiteur, en complément des dispositifs de formation. L’upskilling isolé, s’il n’est pas adossé à une organisation apprenante, perd ainsi de son efficacité.

Des marges de manœuvre à réinvestir au niveau local

En Europe, la France fait partie des marchés où le sentiment de compétence et l’engagement sont parmi les plus bas, avec respectivement 18 % et 21 % des salariés se disant « pleinement engagés ». Cette stagnation souligne un paradoxe : la formation professionnelle y est largement structurée, mais peine à produire un effet visible sur la motivation ou la projection professionnelle. À l’inverse, l’Afrique du Sud et le Nigeria affichent des taux d’engagement supérieurs à 30 %, portés par une dynamique locale d’autonomisation et une valorisation plus explicite des efforts d’upskilling.

Ces contrastes suggèrent que la formation ne peut être traitée comme un levier standardisé. Elle gagne en efficacité lorsqu’elle est contextualisée à un type d’emploi, à un rythme d’évolution et à des attentes culturelles spécifiques. L’enjeu pour les entreprises européennes, notamment françaises, consiste à sortir de l’opposition entre formation initiale et formation continue pour penser des parcours dynamiques, connectés aux besoins opérationnels et aux trajectoires individuelles.