La dernière étude de l’Observatoire ANFA éclaire la réalité contrastée des usages de l’intelligence artificielle dans les métiers de l’automobile. Si les cas d’application se multiplient, la majorité des tâches reste fondamentalement humaine et la diffusion des outils IA demeure très inégale. Cette photographie du secteur offre un exemple éclairant, loin des promesses optimistes, pour l’ensemble des filières industrielles confrontées à la transformation numérique par l’IA.

Le déploiement de l’IA dans les métiers de l’automobile s’effectue sous le signe de l’expérimentation prudente : quelques usages emblématiques émergent, mais la substitution du travail humain reste l’exception, non la règle. Cette dynamique, où l’humain garde la main, fournit des enseignements précieux pour tous les secteurs engagés dans leur propre transition numérique.

L’étude Autofocus publiée par l’Observatoire des métiers des services de l’automobile (ANFA), repose sur une méthodologie hybride : une veille sur l’offre technologique, une enquête quantitative auprès de 3 280 établissements et une série d’entretiens qualitatifs et des observations de terrain. Cette approche permet d’appréhender avec rigueur les usages effectifs de l’IA dans le secteur, au-delà des déclarations d’intention des fournisseurs ou de la presse professionnelle. Seuls 6 % des entreprises interrogées déclarent utiliser une technologie IA, un chiffre inférieur à la moyenne nationale (10 % selon l’Insee), révélateur de la maturité technologique encore modeste du secteur, et du caractère émergent des cas d’usage réellement industrialisés. Ce constat s’explique en partie par une numérisation inachevée des métiers, une confusion fréquente entre automatisation et IA, et un faible encadrement des usages génératifs, souvent dissimulés (Shadow AI).

L’analyse des réponses met en lumière des écarts marqués selon le type d’activité. Les carrosseries, négociants et concessions sont plus avancés dans l’adoption des outils IA, tandis que les centres techniques, écoles de conduite ou mécaniciens indépendants restent à l’écart du mouvement. L’usage progresse également avec la taille des structures, mais reste marginal dans les microentreprises qui forment l’essentiel du tissu sectoriel.

Des cas d’usage, oui, mais une automatisation partielle et ciblée

Loin de l’automatisation généralisée, l’étude recense une pluralité de cas d’usage où l’IA vient assister le professionnel plus qu’elle ne le remplace. Trois domaines se distinguent. Dans la gestion de sinistre automobile, l’IA permet désormais un chiffrage automatisé des réparations à partir de bases de données constructeurs et de photos transmises par les conducteurs. Les algorithmes détectent les dommages visibles, estiment le coût et facilitent le pré-tri des sinistres. Cette automatisation reste toutefois cantonnée aux cas simples et comporte des limites structurelles : la qualité du diagnostic IA dépend fortement des images fournies et la machine n’évalue ni les dommages internes ni la complexité des opérations à réaliser. Les professionnels insistent sur la nécessité de conserver la supervision humaine pour garantir la sécurité et la conformité des réparations, et éviter toute sous-estimation préjudiciable au réparateur.

L’application de peinture sur carrosserie illustre une forme d’automatisation partielle, certains ateliers pionniers adoptent des bras articulés pilotés par IA, capables de respecter la précision des normes constructeur. Là encore, l’humain reste indispensable pour la préparation, le paramétrage et la supervision du processus ; le sentiment de dépossession peut émerger chez les techniciens, la machine prenant en charge la partie la plus valorisante du geste métier. Enfin, l’inspection digitalisée lors de l’achat de véhicules d’occasion permet une détection accélérée des dommages par analyse d’images, mais l’opérateur conserve la décision finale, l’IA générant encore de nombreux faux positifs ou oublis qu’il faut corriger et documenter.

L’IA, levier d’apprentissage, de diversification et d’optimisation

Certains usages illustrent le potentiel de l’IA à transformer l’organisation du travail, en facilitant l’apprentissage et en diversifiant les profils recrutés. L’assistance à l’analyse d’images dans l’achat-revente de véhicules d’occasion permet à des opérateurs sans expérience automobile de progresser plus rapidement, l’outil IA servant de support d’autoformation et de vérification. La validation humaine reste décisive : l’opérateur est invité à confirmer ou infirmer les suggestions de la machine, dans une logique d’apprentissage croisé qui allie efficacité et sécurisation des diagnostics.

Les solutions génératives – analyse et rédaction de courriels, synthèse de réunions, recherche documentaire – sont massivement mobilisées pour alléger les tâches transverses et administratives, notamment par les cadres. Ce mouvement de délégation sélective des tâches à l’IA favorise le gain de temps, la réduction de l’erreur et la concentration sur les missions à plus forte valeur ajoutée. Cependant, la diffusion de ces outils reste très inégale : leur usage demeure informel, souvent non déclaré, et pose la question de la formation aux compétences numériques, notamment pour les profils techniques peu acculturés à la manipulation de l’IA générative.

Des limites structurelles persistent

L’étude met en garde contre la confusion persistante entre automatisation avancée et intelligence artificielle. De nombreux outils numériques (CRM, DMS, logiciels de facturation) automatisent déjà une partie des tâches, mais sans relever strictement de l’IA. Cette superposition de transformations technologiques génère des attentes parfois irréalistes et nourrit des incompréhensions sur la valeur ajoutée réelle des solutions IA. L’usage effectif de l’IA en atelier reste invisible, confiné aux traitements en back-office, tandis que les professionnels continuent de mobiliser principalement leur expérience empirique et leur capacité à diagnostiquer les pannes complexes de manière contextuelle.

L’arrivée de l’IA générative fait émerger de nouveaux besoins en formation, capacité à formuler des requêtes précises, à exploiter des modèles linguistiques, à interpréter les résultats, et modifie la relation client. La démocratisation des outils génère parfois des situations où le client remet en question l’expertise du professionnel, sur la foi d’un diagnostic IA ou d’une notification reçue sur smartphone. Ces évolutions soulignent la nécessité d’un accompagnement organisationnel, d’un dialogue social technologique et d’une vigilance accrue sur la préservation de l’expertise métier, des responsabilités et du sens du travail.

Dialogue social, maturité technologique et perspectives intersectorielles

Selon l’étude, et malgré la médiatisation intense du sujet, l’intégration de l’IA dans les accords collectifs demeure marginale. Moins d’un accord sur mille mentionne l’intelligence artificielle. Les partenaires sociaux interrogés appellent à un dialogue social dédié, structuré autour de l’évaluation des usages, de l’amélioration des compétences et de la sécurisation des parcours professionnels. Les perspectives identifiées par l’étude, développement de nouveaux usages, appui à l’apprentissage, simplification administrative, diversification des recrutements, dépendent de la capacité à franchir un cap technologique, à former les équipes et à accompagner la transformation organisationnelle.

L’exemple du secteur automobile montre ainsi que la diffusion de l’IA reste, pour l’instant, synonyme d’assistance ciblée, d’optimisation partielle et de montée progressive en compétences, bien loin de la substitution massive du travail humain. Cette réalité nuancée, riche d’enseignements, mérite d’être observée par l’ensemble des filières industrielles et tertiaires, pour lesquelles la réussite de la transition IA dépendra moins des outils que de la qualité de l’intégration humaine, sociale et organisationnelle.

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