Le rapport 2025 du consortium AI Workforce, piloté par Cisco, dresse un état des lieux des mutations à l’œuvre dans les métiers des TIC au sein du G7. Il révèle une intégration massive des compétences en IA, l’essor de nouveaux rôles spécialisés, des déséquilibres critiques dans les compétences, et la montée en puissance de hubs émergents comme Lyon. Décryptage des implications pour les entreprises françaises.

En à peine douze mois, les métiers des technologies de l’information et de la communication (TIC) ont connu un bouleversement structurel : 7 des 10 rôles enregistrant la plus forte croissance dans les pays du G7 sont désormais directement liés à l’intelligence artificielle. Selon le rapport du consortium AI Workforce, les postes d’ingénieur IA/ML, de spécialiste en gouvernance des risques IA et d’ingénieur NLP (traitement du langage naturel) affichent des progressions spectaculaires — respectivement +145 %, +234 % et +186 %. Ces chiffres illustrent une bascule rapide des besoins des entreprises vers des compétences de modélisation, d’adaptation des modèles fondationnels, et de supervision éthique et sécuritaire des systèmes IA.

En France, les fonctions les plus recherchées dans les TIC sont le data scientiste, l’ingénieur IA/ML et l’architecte logiciel. La structuration des recrutements s’aligne sur les priorités d’automatisation, d’analyse prédictive et de mise en production sécurisée de solutions à base d’IA. Ces tendances confirment l’ancrage stratégique de l’intelligence artificielle dans les architectures métiers et applicatives des entreprises françaises.

Intégration des compétences IA dans les fiches de poste

Le rapport souligne que 78 % des métiers analysés dans le secteur des TIC intègrent désormais des compétences liées à l’IA, au-delà des seuls postes spécialisés. L’ingénierie logicielle, les métiers de l’infrastructure, de la cybersécurité ou encore du support intègrent progressivement des exigences en matière d’outillage IA, de modèles génératifs ou de veille algorithmique. L’étude identifie une augmentation de la demande de compétences liées à la sécurité des modèles de langage (LLM), à l’implémentation de l’IA responsable (+256 %), à l’orchestration multi-agents (+245 %) ou à l’adaptation des modèles de fondation (+267 %).

Ce phénomène transforme en profondeur les référentiels de compétences et oblige les entreprises à intégrer des logiques d’apprentissage continu. Le consortium met en garde contre les écarts de maturité, qui risquent de se creuser entre entreprises outillées et celles qui sont encore tributaires d’environnements techniques hérités ou rigides.

Lyon, nouveau pôle IA de référence dans le paysage français

Au-delà de Paris, le rapport identifie Lyon comme un hub émergent de l’emploi en IA, avec une croissance de 76 % des offres d’emploi sur un an. Ce positionnement s’appuie sur un tissu d’entreprises innovantes, des investissements dans la formation, et la dynamique des collaborations public-privé. Cette territorialisation de l’IA reflète une tendance observée à l’échelle du G7, où de nouveaux centres comme Manchester, Milan ou Vancouver prennent le relais des capitales traditionnelles de la tech.

Pour les acteurs publics et privés, cette redistribution géographique de l’innovation suppose une politique active de soutien aux écosystèmes régionaux, avec des effets d’entraînement sur l’emploi local, la formation initiale et continue, et l’attractivité des territoires.

Un déficit critique dans les compétences techniques et humaines

Le rapport insiste sur l’ampleur des lacunes dans les compétences techniques IA, en particulier autour de l’ingénierie des invites (prompt engineering), de la sécurité des LLM, de l’éthique algorithmique et des méthodes de supervision. Ces insuffisances ou manques freinent les capacités des entreprises à industrialiser les usages tout en maîtrisant les risques. Parallèlement, les compétences humaines, communication, pensée critique, leadership, deviennent cruciales dans la constitution d’équipes hybrides humain-IA.

Pour combler ces écarts, le consortium recommande des approches combinées : formations ciblées, certifications courtes, mentorat, expérimentation sur cas réels. L’enjeu n’est pas seulement technique, il est organisationnel. Il s’agit d’aligner la gouvernance, la culture d’entreprise et la stratégie de transformation pour que les investissements en IA se traduisent par des gains mesurables en productivité et résilience.

Des ressources concrètes pour anticiper la transition et structurer l’apprentissage

Le rapport s’accompagne de trois outils opérationnels : un Playbook de l’IA pour les entreprises, un glossaire des compétences IA 2025, et une base de données de plus de 200 recommandations d’apprentissage. Le consortium entend ainsi structurer les parcours de formation, harmoniser les référentiels entre secteur privé, éducation et pouvoirs publics, et garantir l’interopérabilité des profils sur le marché du travail. Les membres du consortium — Cisco, Microsoft, Google, SAP, Accenture, IBM… — se sont collectivement engagés à former ou requalifier 95 millions de personnes dans les dix prochaines années.

Ces initiatives montrent que le virage IA ne se limite pas à l’acquisition de nouvelles technologies. Il s’agit d’un changement systémique des modèles d’emploi, des compétences et des responsabilités professionnelles. Pour les entreprises françaises, saisir cette dynamique nécessite un pilotage stratégique de la montée en compétence, une anticipation des goulets d’étranglement et une vigilance accrue sur les effets de bord (déqualification, polarisation du marché, dépendance algorithmique).