Plus les systèmes d’intelligence artificielle gagnent en autonomie, plus les organisations se heurtent à cette exigence fondamentale : la confiance. L’étude « The Rise of AI Agents Building Trust in Human–AI Collaboration », publiée par le Capgemini Research Institute, confirme ce paradoxe stratégique. Alors que 62 % des dirigeants anticipent un rôle décisif de l’IA agentique dans leur performance future, seuls 36 % lui font réellement confiance pour prendre des décisions sans supervision humaine. Ce décalage révèle un frein majeur à l’adoption à grande échelle : sans un socle solide de confiance, la promesse des agents IA reste limitée aux laboratoires ou aux cas d’usage périphériques.
Selon l’étude, cette défiance s’ancre dans plusieurs causes structurelles. D’abord, une méconnaissance du fonctionnement des agents intelligents, perçus comme des boîtes noires opaques. Ensuite, un déficit de transparence sur les sources de données, les critères de décision, et les mécanismes de supervision. Enfin, des craintes récurrentes liées aux biais, à la perte de contrôle ou aux effets d’automatisation indésirable. Ce faisceau de doutes freine l’appropriation par les collaborateurs, en particulier lorsqu’il s’agit de déléguer des tâches à forte responsabilité ou impact client.
Des bénéfices reconnus… mais peu concrétisés
L’étude révèle que les bénéfices attendus des agents IA sont bien identifiés : amélioration de la productivité (citée par 62 % des répondants), personnalisation des services (54 %), réduction du temps de réponse (51 %) et soutien à la prise de décision (49 %). Pourtant, dans la pratique, moins d’une entreprise sur cinq a intégré ces agents dans ses processus à fort enjeu stratégique. Ce retard d’adoption s’explique par une inadéquation entre le niveau d’autonomie des agents et le degré de confiance que les utilisateurs sont prêts à leur accorder.Le rapport distingue clairement deux dynamiques. Les cas d’usage très encadrés, où l’agent agit comme assistant sans capacité de décision, génèrent peu de résistance. En revanche, les cas impliquant une autonomie partielle ou totale — par exemple dans la relation client, l’orchestration IT ou la gestion de ressources — sont plus souvent bloqués ou limités à des expérimentations internes. La confiance conditionne donc directement la capacité à passer à l’échelle.
La gouvernance pour construire une confiance opérationnelle
Dans les interactions entre humains et systèmes intelligents, la confiance ne préexiste pas : elle se forme, étape par étape, au fil des usages, des résultats observés et du degré de maîtrise perçu. Dans le cas des agents IA, qui prennent des initiatives, réorganisent des flux ou génèrent des décisions à valeur ajoutée, cette confiance ne peut émerger que si les conditions de gouvernance sont claires, stables et documentées. Or l’étude du Capgemini montre que seules 25 % des organisations ont formalisé un cadre éthique pour l’usage de l’IA agentique, et à peine 21 % disposent d’une structure de gouvernance dédiée.Sans visibilité sur la logique des agents, leur champ d’action, les données qu’ils mobilisent et les mécanismes de supervision en place, la défiance est inévitable. Cette opacité perçue alimente des craintes sur les biais, l’alignement stratégique, la reproductibilité des décisions et la sécurité. À l’inverse, les entreprises ayant instauré une gouvernance explicite, incluant la traçabilité, les audits réguliers, l’ancrage métier et des comités d’éthique, observent une adoption plus fluide, une réduction des résistances internes et une meilleure appropriation par les utilisateurs. La gouvernance ne se limite donc pas à un cadre réglementaire : elle devient un accélérateur de collaboration humain-machine, capable de transformer une technologie perçue comme risquée en un partenaire stratégique légitime et contrôlable.
Vers une relation symétrique et explicable
Le rapport souligne un tournant culturel dans la manière d’envisager l’IA agentique. Il ne s’agit plus simplement d’outiller les humains, mais de créer les conditions d’une collaboration équilibrée entre acteurs humains et agents numériques. Pour que cette relation soit viable, les agents doivent être conçus comme des entités explicables, paramétrables, alignées sur les finalités métiers et intégrées dans une boucle de retour d’expérience continue.En ce sens, les outils de contrôle doivent évoluer. Il ne suffit plus de valider un modèle avant son déploiement : il faut aussi assurer sa supervision dynamique, intégrer des indicateurs de confiance dans les tableaux de bord métiers, et prévoir des dispositifs de désengagement rapide si un agent agit de façon non conforme. La confiance ne repose pas uniquement sur la technologie, mais sur la capacité des entreprises à en maîtriser les usages, à les contextualiser, et à les faire évoluer en fonction des retours du terrain.
Une stratégie à co-construire entre IT, métiers et RH
Construire une confiance pérenne dans les agents IA exige une approche multidisciplinaire, estiment les rédacteurs du rapport. Les DSI jouent un rôle crucial dans le choix des plateformes et l’intégration technique, mais les directions métiers doivent être impliquées dès la conception des cas d’usage. Quant aux ressources humaines, elles sont en première ligne pour accompagner les transformations culturelles induites par la délégation et la montée en puissance des agents dans les environnements de travail.Ce triptyque IT–métiers–RH apparaît comme la clé d’une adoption sereine. En partageant les responsabilités, en formalisant les attentes et en documentant les limites, les entreprises peuvent installer une dynamique de confiance qui ouvre la voie à des gains mesurables : amélioration de la qualité des décisions, accélération des workflows, réduction des erreurs humaines, et revalorisation des tâches à forte valeur ajoutée humaine.
Dans l’économie actuelle, où les décisions doivent être prises plus vite, avec plus de données et dans des environnements incertains, l’IA agentique constitue une réponse structurelle. Mais son adoption ne peut reposer sur la seule performance technique. Elle dépend de la confiance. Non pas une confiance aveugle, mais une confiance outillée, explicable, gouvernée.
Les entreprises qui réussiront à intégrer des agents IA dignes de confiance, en alignant gouvernance, usage et valeur métier, seront celles qui transformeront l’autonomie logicielle en avantage stratégique. Et dans ce domaine, comme le rappelle l’étude de Capgemini, la confiance n’est pas un supplément d’âme. C’est une condition d’existence.