Dans les périodes de transition extrême, qu’elles soient écologiques, sociétales, économiques ou technologiques, ce ne sont pas nécessairement les plus compétents ou les plus puissants qui s’adaptent le mieux, mais ceux qui tolèrent l’incertitude sans perdre leur boussole intérieure. Cette capacité à évoluer dans le flou, à accepter que les repères s’effacent et que les trajectoires ne soient plus linéaires, est au cœur de ce que certains appellent la compétence de l’ambiguïté.
Dans un contexte dans lequel les informations sont incomplètes, contradictoires ou incertaines, la fonction de dirigeant d’entreprise se transforme radicalement. L’édition 2025 de l’étude annuelle menée par IBM Institute for Business Value, en partenariat avec Oxford Economics, met en lumière une recomposition profonde des priorités stratégiques, des arbitrages technologiques et des leviers de création de valeur. Le constat principal de cette étude peut se résumer ainsi : les dirigeants les plus performants sont ceux qui acceptent de renoncer aux certitudes de la planification linéaire pour s’ouvrir à une logique d’adaptation continue, pilotée par la donnée, l’IA générative et, de plus en plus,
les agents intelligents.
Cinq bascules mentales à l’œuvre
Ce glissement se manifeste à travers cinq bascules mentales, ou « mindshifts », identifiées par IBM comme des ressorts de performance dans un monde devenu imprévisible. Le premier de ces basculements consiste à substituer la recherche d’efficacité à court terme par une logique de performance évolutive, capable d’absorber les chocs et de capitaliser sur les signaux faibles. L’IA agentique, en tant que technologie capable d’apprendre et de s’adapter, de simuler des scénarios et d’interagir avec des systèmes complexes, est perçue comme un levier fondamental par 61 % des dirigeants interrogés.Ces agents ne se contentent plus d’assister les processus ; ils les redessinent, comme en témoigne le cas d’un acteur des Sciences de la Vie accompagné par IBM Consulting : l’entreprise a mis en œuvre un flux documentaire automatisé pour ses soumissions réglementaires, intégrant des agents capables de produire des contenus traçables, adossés à des sources cliniques, validés selon les normes GxP.
Agilité mentale et refus du statu quo
Ce type de transformation repose sur un autre changement de perspective : le refus du statu quo, y compris sur des éléments considérés historiquement comme le cœur du métier. L’étude révèle que 68 % des PDG considèrent que l’IA modifie déjà des éléments centraux de leur modèle d’activité. On assiste ainsi à l’émergence d’une nouvelle agilité : des industriels devenant éditeurs de solutions logicielles, de distributeurs évoluant vers des expériences client immersives, ou encore d’administrations publiques comme le département des services à l’enfance d’Arizona (DCS) qui intègrent des assistants virtuels pour actualiser les politiques internes et automatiser le traitement documentaire à grande échelle. Ce mouvement de « destruction créatrice », que les économistes ont longtemps théorisé, se voit désormais intensifié et orchestré par des IA capables de modéliser en temps réel l’impact organisationnel d’un changement.Face à cette dynamique de transformation accélérée, une autre fracture apparaît : celle qui oppose les dirigeants ayant un système d’information fluide, interconnecté et exploitable en temps réel, et ceux encore prisonniers d’un empilement technologique fragmenté. L’un des enseignements les plus frappants de l’étude est que 50 % des PDG reconnaissent que le rythme effréné des investissements passés a laissé leur entreprise avec des infrastructures disjointes, incapables d’alimenter efficacement les agents IA.
L’avantage est dans les données pas dans l’algorithme
Or, 72 % estiment que l’exploitation de leurs données propriétaires est la condition sine qua non pour tirer pleinement parti de l’IA générative. Autrement dit, l’avantage concurrentiel ne réside plus uniquement dans les algorithmes, mais dans la capacité à créer un environnement de données vivant, gouverné, et transversal.Cette exigence de transversalité touche également les talents. Face à l’émergence de nouveaux rôles liés à l’IA — dont 54 % des postes n’existaient pas un an auparavant, les PDG adoptent des stratégies hybrides combinant montée en compétences internes, automatisation ciblée, et recours à des expertises externes. Pas moins de 67 % d’entre eux considèrent que la différenciation passera par la capacité à mobiliser les bonnes compétences au bon endroit et au bon moment. Le paradigme du « build, buy, bot, borrow » s’impose progressivement, et rebat les cartes des politiques RH traditionnelles. Ce modèle permet aux dirigeants de choisir la meilleure combinaison pour répondre à leurs besoins actuels et futurs, tout en s’adaptant à la complexité et à l’incertitude
du marché du travail.
L’innovation n’a de valeur que lorsqu’elle est pilotée par le ROI
Enfin, l’étude d’IBM consacre une idée désormais incontournable : l’innovation technologique n’a de valeur qu’à la condition d’être pilotée par le retour sur investissement. En dépit de l’engouement autour de l’IA générative, seulement 25 % des initiatives passées ont tenu leurs promesses en matière de ROI, et 16 % ont été déployées à l’échelle de l’entreprise. La pression des « preuves de concept » spectaculaires laisse place à une rigueur nouvelle : 65 % des PDG affirment aujourd’hui prioriser les cas d’usage IA sur la base de leur rentabilité potentielle. Ce recentrage traduit une maturité croissante des dirigeants, qui cherchent moins à briller qu’à transformer durablement.Au-delà des chiffres, c’est une philosophie de la décision qui se redessine. Face à l’impossibilité de tout prévoir, les PDG les plus performants ne misent plus sur l’anticipation, mais sur la capacité à ajuster leurs trajectoires à la volée. En mettant l’accent sur l’IA agentique, sur la gouvernance des données, sur le pilotage par la valeur et sur l’écosystème comme ressource, IBM propose un cadre stratégique pour accompagner les dirigeants vers une forme d’intelligence managériale augmentée.
Loin d’une énième vision « technosolutionniste », cette étude trace une voie exigeante et pragmatique pour diriger dans un monde incertain. Une voie qui demande du courage, de la clarté stratégique… et une confiance raisonnée dans la capacité des agents IA à transformer les zones d’ombre en points d’appui.