Portées par le SaaS, l’intelligence artificielle et les services informatiques, les startups du numérique s’imposent comme la principale source de création d’emplois dans la French Tech. Derrière cet infléchissement sectoriel se dessine un nouveau modèle d’industrialisation, plus discret que flamboyant, mais potentiellement plus résilient.

Longtemps portée par des récits d’innovation radicale, d’hypercroissance et de rupture, la French Tech entre dans une phase plus mature. Loin des levées de fonds spectaculaires et des promesses de discontinuité technologique, ce sont désormais les modèles reproductibles, orientés usage et intégrables dans les systèmes d’information existants, qui tirent la croissance. Le baromètre de l’emploi publié par Numeum pour le premier semestre 2025 le confirme : les startups du numérique – logiciels en mode service, outils d’IA appliquée, services d’intégration, prennent la tête des secteurs créateurs d’emplois, devant la GreenTech et l’industrie.

Cette recomposition sectorielle traduit un double mouvement. D’une part, la montée en puissance de solutions industrialisées, capables de s’adapter à des contextes métier variés, tout en conservant une architecture modulaire. D’autre part, une réallocation du capital humain vers des compétences plus transverses, centrées sur la donnée, l’automatisation et l’orchestration des flux numériques. Loin d’un ralentissement, c’est une mutation : de la startup d’expérimentation à l’entreprise d’exécution.

Le SaaS et l’IA structurent l’économie des jeunes pousses

Les chiffres sont révélateurs : au premier semestre, les startups françaises ont créé plus de 16 000 emplois, en hausse de 4,6 % par rapport à janvier. En tête, les éditeurs de logiciels en mode SaaS profitent de la demande continue en solutions de gestion, de conformité, de cybersécurité ou d’automatisation. Leur force réside dans une capacité à standardiser des fonctions critiques, tout en assurant une mise en œuvre rapide. Dans un contexte où les DSI cherchent à rationaliser leurs outils, ces solutions apparaissent comme des leviers agiles de modernisation.

Mais la surprise vient de l’intelligence artificielle : en juin 2025, les startups positionnées sur des offres IA ont dépassé les éditeurs SaaS en volume d’embauches. Un signal faible qui pourrait annoncer un basculement plus large. Après l’euphorie des modèles fondationnels, le marché semble se tourner vers des usages ciblés : moteurs de recommandation, agents d’assistance, analyse prédictive, traitement de documents. Des applications concrètes, connectées aux besoins opérationnels, et capables de démontrer une valeur métier rapidement mesurable.

Vers une French Tech plus sobre, plus territoriale, plus enracinée

Au-delà des effets de seuil, c’est un nouvel équilibre qui se dessine. La centralité de l’Île-de-France demeure incontestable, concentrant deux tiers des emplois créés. Mais la montée des régions, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes, atteste d’une volonté de répartition plus équilibrée des écosystèmes. Loin des hubs parisiens, certaines jeunes pousses choisissent d’implanter leurs équipes dans des métropoles régionales, au contact direct des clients industriels, des partenaires publics et des viviers de talents en reconversion.

Ce mouvement traduit une forme de sobriété stratégique. Dans un environnement où les financements se raréfient, la rentabilité opérationnelle devient une exigence dès les premières phases de développement. Exit les modèles brûlant du capital pour croître vite : les startups numériques misent désormais sur l’alignement entre produit, marché et trajectoire économique. Une inflexion qui se répercute dans les politiques RH, avec des recrutements plus ciblés, des profils hybrides, et une attention accrue à la formation continue et à l’intégration métier.

Entre risque de polarisation et opportunité de structuration

Cette réorientation n’est pas sans risque. En se concentrant sur quelques segments hautement « scalables », SaaS, IA, plateformes, l’écosystème pourrait négliger d’autres filières moins visibles, mais essentielles à l’équilibre de la tech française : la deeptech, l’électronique, les matériaux, les technologies de rupture à horizon long. Une polarisation excessive pourrait affaiblir la diversité des trajectoires entrepreneuriales et rendre la French Tech vulnérable à des retournements cycliques ou à des dépendances externes (clouds dominants, API fermées, modèles étrangers).

À l’inverse, cette nouvelle dynamique ouvre des opportunités. Elle pose les bases d’une structuration plus durable : des chaînes de valeur plus lisibles, des offres plus intégrées, des partenariats intersectoriels plus fréquents. L’essor des plateformes logicielles locales, la normalisation des composants IA embarqués et l’émergence d’outils souverains en cybersécurité ou en données de santé pourraient constituer les piliers d’une French Tech 2.0, plus sobre, mais mieux ancrée dans les réalités économiques du pays.