La formalisation « Enterprise as Code », mise en avant par Boston Consulting Group dans son rapport de 2025, s’impose comme une réponse structurante à la complexité croissante des organisations. Derrière ce concept, hérité de décennies d’automatisation, se joue aujourd’hui une véritable rupture portée par la convergence entre agents IA, infrastructures programmables et impératifs de gouvernabilité. Cette évolution pourrait transformer durablement les modèles opérationnels des entreprises à l’ère de l’intelligence artificielle générative.
Boston Consulting Group (BCG) décrit dans son analyse récente (« The Enterprise as Code Operating Model for the AI Era », décembre 2025) une nouvelle étape dans la formalisation des organisations. Le principe de codifier l’entreprise ne date pas d’hier. Depuis les premiers référentiels qualité jusqu’aux démarches DevOps, les entreprises ont cherché à expliciter, à rationaliser et à automatiser leurs processus métiers. Or, la vague actuelle dépasse largement le cadre du BPM traditionnel ou de la documentation logicielle.
Elle s’appuie sur la capacité technique, désormais accessible, de rendre la structure, les règles et les arbitrages d’une organisation exécutables en temps réel, lisibles aussi bien par des humains que par des systèmes autonomes. La donnée devient l’élément fédérateur d’une orchestration dynamique, où chaque processus, chaque interaction, chaque décision peut être simulée, testée, adaptée ou automatisée selon le contexte et les objectifs stratégiques.
Des processus vivants, orchestrés par des agents IA
La première rupture de l’approche « Enterprise as Code » version 2025 réside dans la transformation des processus en artefacts vivants. Là où les scripts métiers et les paramétrages de logiciels servaient autrefois de boussole, l’entreprise adopte aujourd’hui des modèles décrivant explicitement les chaînes de valeur, les logiques décisionnelles et les flux d’interaction. Ces modèles, exposés sous forme de « code » lisible par les agents IA, deviennent le socle de l’automatisation à grande échelle. L’organisation n’est plus limitée à des tâches répétitives ou à des workflows prédéfinis. Elle orchestre des enchaînements d’actions complexes, supervise l’allocation des ressources en temps réel, et mobilise la donnée pour affiner chaque séquence opérationnelle.
Ce fonctionnement rend possible une collaboration fluide entre humains et intelligences artificielles. Les agents IA, intégrés au cœur des processus, sont capables d’interpréter la logique métier, de proposer des arbitrages, d’ajuster leur comportement en fonction des événements et d’apprendre en continu. La frontière entre les tâches confiées aux collaborateurs et celles automatisées devient poreuse, chaque intervention pouvant être contextualisée, tracée et optimisée à la volée. Cette logique renforce la résilience de l’entreprise face aux ruptures technologiques, tout en accélérant sa capacité à intégrer de nouveaux outils ou à réagir aux contraintes du marché.
Programmabilité et portabilité, enjeux structurels de gouvernance
La formalisation des processus en « code » ne se limite pas à l’automatisation. Elle pose la question de la gouvernabilité et de la conformité des organisations. Les entreprises, les administrations et les fournisseurs de services doivent désormais rendre compte de la traçabilité de leurs arbitrages, de la testabilité de leurs règles et de la robustesse de leurs chaînes de décision. La portabilité devient un critère essentiel : il s’agit de pouvoir transférer, adapter ou auditer les logiques métiers d’un environnement à l’autre, qu’il s’agisse d’une évolution technologique, d’un changement réglementaire ou d’une intégration post-acquisition.
Cette exigence structurelle suppose de s’appuyer sur des plateformes ouvertes, capables de versionner les modèles d’entreprise, de documenter les exceptions, d’instrumenter la donnée en temps réel et d’offrir des interfaces à la fois humaines et programmatiques. Les outils low-code et no-code contribuent à démocratiser cette démarche, mais c’est la maturité des API et l’intégration des agents IA qui permettent désormais de piloter toute l’organisation comme un système distribué, supervisé, auto-adaptatif. Ce paradigme transforme la DSI en chef d’orchestre, garantissant la cohérence, la sécurité et la conformité des processus à chaque étape du cycle de vie organisationnel.
En quoi cette vague diffère-t-elle des approches passées ?
La formalisation, la documentation et l’automatisation des processus métiers existent depuis l’essor du BPM, des ERP paramétrés ou des démarches DevOps. Cependant, l’« Enterprise as Code » version 2025, telle que décrite par BCG, repose sur trois ruptures majeures : l’infrastructure programmable à tous les niveaux, la convergence des logiques humaines et automatisées via les agents IA, et la possibilité d’orchestrer dynamiquement les processus sur la base d’événements contextuels, de données en temps réel et de boucles de rétroaction continues.
Là où les modèles passés s’appuyaient sur des scripts ou des workflows figés, la nouvelle approche privilégie la composabilité, l’auto-adaptation et la supervision algorithmique à l’échelle de l’entreprise. Les processus deviennent des « artefacts vivants », testés, vérifiés, monitorés et adaptés en continu. La notion de « code » s’étend à la représentation explicite de l’intention stratégique, des arbitrages métiers et de la gouvernance opérationnelle, rendant possible une collaboration homme-machine sans précédent.
Selon BCG, « la capacité à exprimer, tester et automatiser les opérations d’une organisation sous forme de code marque une rupture structurelle pour l’entreprise à l’ère de l’IA générative ». Cette nouvelle itération met également l’accent sur la gouvernabilité, la vérifiabilité et la portabilité des processus, en réponse aux exigences accrues de conformité, de souveraineté et de sécurité. Les organisations doivent désormais rendre leurs logiques métiers audibles, testables et transférables pour résister aux évolutions réglementaires, aux chocs technologiques ou aux mutations de marché.
L’horizon agentique : entreprises adaptatives, IA responsables
L’extension du modèle « Enterprise as Code » à l’ère des agents IA dessine l’horizon d’une entreprise véritablement adaptative. Les organisations les plus avancées intègrent déjà des boucles de rétroaction temps réel, exploitent la donnée pour piloter leurs stratégies en continu, et s’appuient sur des agents capables d’interagir avec l’écosystème — clients, partenaires, fournisseurs — de façon autonome et vérifiable. La gouvernance algorithmique, la transparence des décisions et la capacité à auditer les processus deviennent des leviers majeurs pour répondre aux attentes des régulateurs, des clients et des actionnaires.
Dans ce contexte, la France et l’Europe disposent d’atouts pour imposer des standards de gouvernabilité, de portabilité et de souveraineté dans la formalisation des organisations. Les exigences réglementaires, la culture de la conformité et la structuration des écosystèmes de données favorisent l’émergence de modèles hybrides, conciliant innovation et maîtrise des risques. Les entreprises, les administrations et les fournisseurs de services devront néanmoins accélérer la mutualisation des compétences, la standardisation des interfaces et la mise en œuvre de plateformes partagées pour tirer pleinement parti de la promesse de l’« Enterprise as Code ».
Au total, l’évolution vers des organisations codifiées, pilotées par la donnée et orchestrées par des agents IA marque une transition structurelle pour les entreprises à l’horizon 2026. Il ne s’agit plus d’une démarche expérimentale ou d’un gadget de la transformation numérique, mais d’un mouvement de fond, destiné à garantir agilité, la conformité et la résilience dans un monde désormais piloté par l’intelligence distribuée agissante.























