À l’heure où chaque crise semble en annoncer une autre, EY Fabernovel publie son étude « GAFAnomics 2025 », véritable manuel de survie dans une économie devenue BANI, Brittle, Anxious, Non-linear, Incomprehensible. Les géants du numérique y apparaissent non seulement comme des acteurs dominants, mais comme des systèmes d’exploitation du monde. Le rapport décrypte les leviers de leur puissance et livre aux entreprises traditionnelles un modèle de transformation fondé sur la donnée, la culture, l’automatisation et la scénarisation.
Depuis quinze ans, les rapports GAFAnomics analysent les ressorts de la domination d’Amazon, d’Apple, de Meta, d’Alphabet, de Microsoft, de Nvidia et de Tesla. L’édition 2025 franchit un cap : elle ne se limite plus à observer, elle modélise. Dans un monde où la planification classique ne suffit plus, ces entreprises se distinguent par leur capacité à produire de la cohérence dans le chaos, en intégrant la culture, les outils logiciels et la vitesse de décision comme fondements de leur modèle d’affaires. Pour les dirigeants européens, le rapport sonne comme un avertissement : sans architecture logicielle et sans gouvernance de la donnée, l’entreprise ne peut plus rivaliser.
Le rapport consacre la donnée comme matière première de toute compétitivité. Les plateformes fonctionnent désormais en « boucles de valeur » où chaque interaction nourrit un flux d’amélioration continue, qui alimente la monétisation future. Cette dynamique transforme le modèle linéaire traditionnel, fournisseur, producteur, distributeur, en un cycle permanent d’apprentissage. Dans l’économie des agents et de l’intelligence artificielle, la différenciation repose sur la donnée contextuelle, celle qui décrit les usages réels, les comportements et les micro-décisions. Les entreprises capables de capter et d’exploiter ces signaux, tout en respectant les contraintes réglementaires du RGPD ou de l’AI Act, acquièrent un avantage défensif décisif.
La culture est un levier de cohérence et d’attraction
EY Fabernovel souligne que la performance des GAFA ne découle pas d’une stratégie unique, mais d’une culture organisationnelle façonnée par l’exigence. La sélection des talents, la tolérance au risque et la rapidité d’exécution y priment sur la hiérarchie. « Culture eats strategy for breakfast » dit l’adage qui résume cette conviction. Les dirigeants incarnent des utopies alternatives, Elon Musk pour la conquête technologique, Satya Nadella pour la réinvention culturelle, capables de fédérer les employés, les investisseurs et les consommateurs autour d’un même imaginaire. Les entreprises traditionnelles doivent, selon le rapport, apprendre à « détruire leur propre culture » lorsque celle-ci devient un frein, et à reconstruire des collectifs centrés sur la mission plutôt que sur la fonction.
L’étude montre que l’automatisation n’est plus une fonction technique, mais un langage universel. L’économie post-industrielle repose désormais sur la complémentarité entre le travail humain et les capacités logicielles. Chaque nouvelle génération d’outils, du cloud à l’intelligence conversationnelle, déplace la frontière du possible et crée de nouveaux marchés. EY Fabernovel estime que la valeur intangible (logiciels, marques, données) représente aujourd’hui 90 % de la capitalisation du S&P 500, contre 17 % en 1975. Pour les entreprises, traiter le logiciel comme un investissement stratégique et non comme un centre de coût devient une condition de survie. Les modèles d’orchestration agentique et les architectures modulaires sont appelés à remplacer les systèmes cloisonnés hérités.
La scénarisation : la fin de la planification au profit de l’adaptation
Dans une économie de l’imprévisible, le rapport décrit l’abandon du plan quinquennal au profit de scénarios évolutifs. Les GAFA cultivent la plasticité : ils expérimentent vite, mesurent en continu et détruisent sans état d’âme ce qui échoue. Meta poursuit son pari XR malgré des pertes cumulées de 78 milliards de dollars, convaincue que la prochaine interface passera par l’immersion. Shopify ou Pigment, eux, transposent cette philosophie à l’entreprise distribuée et les décisions sont réévaluées toutes les six semaines sur la base de données en temps réel. Cette « stratégie de la plasticité » permet de préserver une vision longue tout en ajustant le cap en permanence. Un modèle que les directions générales européennes commencent à adopter dans leurs plans IA ou climat.
L’enseignement transversal de l’étude tient en un principe : la survie dépend de la coopération. Les GAFA ont transformé l’ouverture en moteur d’expansion, en publiant leurs outils (API, bibliothèques, modèles open source) et en créant des écosystèmes auto-producteurs de valeur. EY Fabernovel cite notamment Hugging Face ou Mistral comme nouveaux archétypes de cette « coopétition » : mutualiser pour aller plus vite, tout en conservant la maîtrise de la gouvernance et des données. Pour les entreprises traditionnelles, cette logique appelle une réévaluation de la notion même de frontière : l’avantage concurrentiel réside moins dans la propriété que dans la capacité à orchestrer un réseau de partenaires.
À travers « GAFAnomics 2025 », EY Fabernovel ne célèbre pas les géants du numérique, mais dévoile les principes de leur efficience systémique. Dans un monde dominé par la complexité et l’incertitude, la méthode GAFA devient une grille de lecture des organisations modernes : une économie de la donnée, de la culture, du logiciel et de la scénarisation. La question pour les entreprises européennes n’est plus de copier la Silicon Valley, mais d’en maîtriser le code, au sens propre comme au figuré, pour redéfinir leur souveraineté technologique et leur modèle de création de valeur.