Poussé à la démission le mois dernier, sous le poids des accusations d’alcool, drogue, harcèlement et sexisme qui pèsent sur Uber, Travis Kalanick annonce à qui veut l’entendre qu’il va revenir triomphant, à la Steve Jobs ! Jusqu’où ira son machiavélisme ?
Connaissez-vous la culture ‘bro’ (de broping : pelotage/tripotage) ? C’est ainsi qu’ont été qualifiées les pratiques d’Uber par un journaliste du New York Times, Mike Isaac, qui a enquêté sur la société suite aux accusations de sexisme d’une ingénieure, Susan Fowler, en début d’année.
Culture 'bro'
Les résultats de l’enquête pour le moins lourds, extraits :
- Un A-Team, l’équipe de direction, composé de proches de Travis Kalanick, le milliardaire fondateur d’Uber, qui a totalement échappé à l’examen des RH ;
- Des réunions alcool et cocaïne ;
- Une prise d’otage d’un employé dans un bus ;
- Des menaces de coups de batte de base-ball ;
- Une employée ‘pelotée’ ;
- Des propos sexistes, etc.
L’expression ‘broping’ est restée. Réduite en ‘bro’, elle définit aujourd’hui dans la presse américaine une culture d’entreprise sur le modèle de Uber, une culture ‘à tâton’, avec de grandes fêtes marquées par les boissons, les drogues et le sexe, et ses dérives ‘peloter’ ou ‘tripoter’.
L’enchainement des découvertes et des faits a entrainé la démission de certains membres de l’équipe dirigeante d’Uber, jusqu’à celle de Travis Kalanick (lire notre tribune « Exit Travis Kalanick, la chute de la maison Uber »). Mais les répercussions pourraient aller beaucoup plus loin, jusque sur les startups et les entreprises de la Valley (lire « Après Uber, le sexe aura-t-il raison de la Silicon Valley ? »).
Plus de bière à la cantine…
Dans un rapport accablant réalisé par Eric Holder, ancien attorney général américain, 47 recommandations sont proposées à Uber. Dont d’arrêter de mettre l’alcool en point focal des réunions de travail ! Uber impose désormais un nouveau règlement à ses employés : alcool et drogue interdits durant les heures de travail, les évènements professionnels et sponsorisés. De même, les demandes de remboursement des frais d’alcool lors des évènements hors du bureau seront plafonnées. Uber aurait également cessé de fournir de la bière pression avec les repas servis sur le lieu de travail…
Quelle est la part de responsabilité de Travis Kalanick dans ces dérives ? Les problèmes rencontrés par Uber sont pour la plupart attribués à sa culture ‘bro’, amplifiée par le copinage de l’équipe dirigeante. Kalanick rappelle aujourd’hui qu’il n’a pas été congédié, mais qu’il a démissionné. Et il reste au conseil d’administration d’Uber. Résultat, même s’il a démissionné, il est toujours là…
Une stratégie 'machiavélique'
Et les langues se délient. Uber fait partie de la vie de Travis Kalanick et il lui serait difficile de lâcher prise. L’homme est brillant, la réussite serait chevillée au milliardaire, mais il serait aussi l’un des plus grands problèmes persistants d’Uber. Et sa stratégie est qualifiée par certains observateurs de machiavélique. Ainsi, l’entrée du géant japonais SoftBank, qui pourrait prendre une participation de plusieurs milliards de dollars dans Uber, pourrait bien, selon le New York Times, servir moins le devenir d’Uber que les ambitions de Travis Kalanick. Celui-ci chercherait en effet à diluer le pouvoir des autres actionnaires d’Uber en favorisant son retour avec l’appui de Masayoshi Son, le CEO de SoftBank.
Voilà qui éclaire différemment la dramaturgie d’Uber, et en particulier le discours porté par Travis Kalanick qui se voit « Steve Jobs-ing » selon les propos qu’il aurait tenu auprès d’employés de la société. Kalanick se voit en Steve Jobs d’Uber, viré de son entreprise avant de revenir, plus tard, et de transformer son groupe en une pépite, la plus précieuse au monde. L’homme est prétentieux, et pressé. Il n’a certainement pas la sagesse d’un Jobs, qui a su attendre son tour… Saura-t-il faire preuve d’autant de sagesse ? Le retour de Travis Kalanick et de la « culture bro » à la tête d’Uber ne sera certainement pas perçu comme un message positif, à l’exception probablement des tenants d’une certaine Amérique qui possédant le pouvoir peut tout se permettre, dont l’alcool, la drogue et le sexe.