En 2025, plus de six professionnels du numérique sur dix déclarent utiliser l'IA générative quotidiennement. C’est l’un des principaux enseignements de la deuxième édition de l’enquête menée par BDM. Derrière cette progression rapide, l’étude met en lumière une structuration des usages, un recul de la phase d’exploration et une rationalisation des déploiements. Si les bénéfices sont largement reconnus, la généralisation de l’IA soulève également de nouveaux enjeux éthiques, organisationnels et informationnels.
Après quelques années d’existence commerciale, l’IA est désormais intégrée dans la routine professionnelle. D’après l’étude de BDM, en un an, l’usage quotidien de l’IA générative chez les professionnels du numérique en entreprise a bondi de 14 points, passant de 50 % à 64 %. Cette progression traduit moins un engouement technologique passager qu’un mouvement d’ancrage durable dans les pratiques métiers. ChatGPT, en particulier, s’impose comme un outil de référence : 82 % des professionnels interrogés y ont recours dans le cadre de leurs missions, toutes fréquences confondues. Les outils concurrents, comme Gemini (26 %), Perplexity (22 %) ou Copilot (18 %), restent encore loin derrière.
Les taux d’adoption varient toutefois selon les domaines d’activité. Les experts en acquisition (94 %), les professionnels des réseaux sociaux (90 %) et ceux de la communication (89 %) figurent parmi les plus utilisateurs, confirmant que les métiers de la création de contenus, du pilotage de campagnes et de la veille bénéficient directement des capacités génératives. Mais l’intégration dépasse désormais les seuls services marketing : les chefs de projet (86 %), les développeurs et même les enseignants y recourent de plus en plus fréquemment.
Une structuration des usages, entre efficacité opérationnelle et consolidation
Les données de l’étude révèlent une bascule notable : 55 % des répondants affirment désormais avoir intégré l’IA dans leurs processus métiers quotidiens, contre 40 % un an plus tôt. La phase d’exploration, où l’on teste sans formalisation, recule de 50 % à 37 %. Autrement dit, l’IA n’est plus seulement testée, elle est utilisée. Cette phase de consolidation signe l’entrée dans une seconde phase de maturité, plus sélective, plus orientée résultats.
Fait significatif : la part des professionnels affirmant avoir franchi le cap de l’industrialisation (déploiement via API, automatisations avancées, intégration dans des chaînes logicielles) diminue de 11 % à 8 %. Ce recul suggère une certaine prudence face à la complexité des projets d’industrialisation, mais aussi un recentrage sur les cas d’usage éprouvés. Il semble que les entreprises privilégient désormais les apports tangibles et mesurables aux ambitions d’automatisation massive. Encore, une preuve de maturation des usages.
Un changement de posture progressif au sein des entreprises
En 2024, moins d’un tiers des professionnels déclaraient que leur entreprise encourageait l’usage de l’IA générative. En 2025, cette proportion atteint 48 %. Les structures qui tolèrent l’usage sans incitation formelle représentent 42 %, tandis que les organisations réfractaires deviennent marginales (9,5 %).
Ce changement de posture traduit une évolution dans la perception des bénéfices : l’IA n’est plus vue comme un gadget ou un risque à circonscrire, mais comme un outil à part entière d’optimisation, de productivité ou d’innovation. Pourtant, cet usage reste encore largement individuel, voire artisanal. Peu d’entreprises ont formalisé des chartes d’usage, encadré les flux de données, ou évalué systématiquement la pertinence des contenus générés. Une fois encore, la montée en puissance de l’usage devance la mise en place des garde-fous. Une phase révélatrice de l’asymétrie croissante entre l’innovation technologique et sa gouvernance organisationnelle et réglementaire.
Elle met en évidence plusieurs constats structurants, très fréquents dans les cycles d’adoption technologique, et particulièrement saillants dans le cas de l’IA générative. En premier, la dynamique technologique est plus rapide que les capacités d’encadrement, ce qui se traduit par le terme « shadow » appliqué à des usages et remontant aux années 2000, lorsque des solutions cloud grand public ou freemium (Dropbox, Google Docs, Skype, Evernote…) étaient utilisées par les collaborateurs, sans validation ou supervision explicite de la DSI. Ces outils étaient jugés plus simples, plus rapides ou plus adaptés que ceux fournis par le service informatique.
Des bénéfices reconnus, mais des enjeux grandissants
Si 65 % des professionnels interrogés considèrent que l’IA générative a un impact positif sur leur métier, l’enquête montre aussi une progression des perceptions négatives, qui passent de 16 % à 18 %. Les inquiétudes évoluent : les craintes d’usage malveillant ou de contrefaçon reculent légèrement, mais celles liées à la confidentialité des données (43 %), à la perte d’autonomie intellectuelle (40 %) et à la qualité de l’information (37 %) progressent fortement.
Ce glissement traduit un changement de focale. L’enjeu ne porte plus seulement sur ce que l’IA pourrait faire de mal, mais sur ce qu’elle modifie profondément dans les pratiques : délégation des tâches cognitives, formatage des contenus, dépendance aux assistants automatisés, brouillage des sources. L’IA générative n’est plus seulement un assistant, elle redéfinit la manière de concevoir, de produire et de penser l’information.
Vers un nouveau socle de compétences numériques
L’enquête révèle ainsi un double mouvement : l’IA s’installe dans le quotidien professionnel et transforme les attentes en matière de compétences. Savoir dialoguer avec un agent conversationnel, structurer une requête efficace, vérifier un contenu généré, ou intégrer un outil dans un flux de travail métier devient aussi important que savoir utiliser un tableur ou un outil de gestion de projet.
Pour les organisations, cela implique de revoir les référentiels de compétences, de repenser les formations internes et de préparer les équipes à travailler avec des agents numériques plutôt qu’à leur place. La montée en compétence n’est plus technique, elle devient interactionnelle et fait appel à l’esprit critique.
Une technologie structurante en quête de régulation
Enfin, la dynamique observée par BDM s’inscrit dans un contexte réglementaire encore mouvant. La généralisation rapide de l’IA générative précède souvent les dispositifs d’encadrement. Si les professionnels identifient de mieux en mieux les risques, peu d’entreprises disposent encore de politiques de gouvernance claires, notamment en matière de gestion des données, de transparence algorithmique ou de responsabilité éditoriale.
L’entrée en vigueur progressive de la régulation européenne sur l’IA (AI Act), le renforcement des obligations autour de la protection des données personnelles, et le resserrement des exigences en matière de conformité vont progressivement encadrer ces usages. Mais pour l’instant, le terrain est largement ouvert aux expérimentations individuelles, aux logiques d’appropriation informelles et aux ajustements au fil de l’eau.
L’édition 2025 de l’enquête BDM marque un pallier : celui de l’ancrage des outils d’IA générative dans le quotidien professionnel, bien au-delà des fonctions techniques ou créatives. Mais cette généralisation s’accompagne de nouvelles exigences. La maturité technologique ne garantit pas une maturité organisationnelle. L’enjeu désormais, pour les entreprises comme pour les professionnels, est de stabiliser les usages, de renforcer les pratiques critiques, et de construire un cadre commun entre innovation, responsabilité et efficacité.