Le rapport mondial d’Autodesk sur les tendances de l’emploi dans les industries de la conception et de la fabrication révèle un glissement majeur dans les attentes du marché. Dans cette étude, Autodesk ne se contente pas d’enfoncer des portes ouvertes, une énième liste des métiers menacés ou transformés, il met en lumière les compétences attendues chez les futurs collègues des agents d’IA, qu’ils soient humains ou robots. Il est temps de dépasser le débat sur la substitution homme-machine pour entrer dans celui, plus stratégique, de la répartition des responsabilités cognitives, sociales et décisionnelles dans les entreprises.
La nouvelle donne : concevoir, relier, orienter
Sur les 1,5 million d’offres d’emploi analysées entre mai 2024 et avril 2025, la mention de compétences en intelligence artificielle a progressé de 56 % par rapport à l’année précédente. Mais cette progression, déjà spectaculaire, masque une mutation plus profonde : le recentrage des besoins autour de compétences humaines fondamentales. En tête des compétences les plus recherchées pour les postes liés à l’IA en 2025 figure la conception. Pas le codage, ni la maîtrise des algorithmes, mais la capacité à penser des systèmes utiles, compréhensibles, appropriables.Cette compétence dépasse les frontières du design produit ou d’interface pour toucher à la structuration de services, à la logique d’usage et à l’expérience globale. Elle incarne une évolution du rôle humain : non plus seulement produire ou maintenir une technologie, mais lui donner du sens, la situer dans une logique métier, sociale ou environnementale.
D’autres compétences apparaissent dans le top 10 : communication, leadership, collaboration, relations humaines. Ces éléments ne sont pas accessoires : ils deviennent le cœur de métiers amenés à travailler avec ou autour d’agents IA. Il s’agit de guider des systèmes automatisés, de dialoguer avec eux, d’orchestrer leur intégration dans une chaîne de production ou de décision. Cela suppose non seulement de comprendre les limites de l’IA, mais aussi d’assumer la part humaine de l’arbitrage, de la responsabilité, de l’interprétation.
Vers un nouveau partage des intelligences
Ce mouvement marque une bifurcation dans le partage des tâches entre IA et humains, et une nécessaire adaptation cognitive. D’un côté, l’IA prend en charge une part croissante des tâches reproductibles, calculables, optimisables. De l’autre, l’humain se voit confier les missions relationnelles, stratégiques, sensibles. Les agents IA savent faire, et peuvent juger dans la mesure où leurs utilisateurs savent formaliser un cadre de décision pertinent. Leur efficacité dépend moins de leur puissance technique que de la qualité des interactions, des critères et des intentions qu’on leur transmet. Dans ce contexte, les futurs collaborateurs des machines ne sont pas définis par leur capacité à rivaliser avec elles, mais à les compléter, à les contraindre, à les expliciter.Cette répartition redéfinit les contours de nombreux rôles tenus par l’IA. Un « coach en IA », par exemple, n’est pas un technicien, mais un accompagnateur du changement, capable de former, d’écouter, d’adapter. Un « créateur de contenu IA » conçoit des récits, des interfaces, des guides pour rendre l’IA intelligible et opérante. Un « stratège IA » structure l’usage de la technologie dans une logique d’entreprise, en intégrant les contraintes réglementaires, les opportunités de marché et les capacités internes. Tous ces rôles ont en commun de s’appuyer sur l’intelligence humaine comme ressource première.
Les nouveaux codes du travail augmenté
Travailler avec des IA n’est pas une simple extension du travail existant. Cela suppose de nouvelles postures : savoir dialoguer avec des modèles génératifs, superviser des processus automatisés, détecter des biais ou des angles morts, reformuler un objectif métier en prompt exploitable, évaluer la pertinence d’une sortie automatisée. Ces gestes relèvent moins de la technique que de la pensée critique, de la capacité d’abstraction, de la sensibilité au contexte.Dans les faits, cette évolution se traduit par une redéfinition des chaînes de valeur et des organigrammes. Les fonctions de conformité IA, de gestion de produits intelligents ou de gouvernance des agents émergent à grande vitesse. Les entreprises cherchent des profils capables d’assurer une intermédiation entre les systèmes et les usages, entre l’intelligence artificielle et l’intelligence collective. Cette évolution revalorise des savoirs longtemps perçus comme secondaires : culture générale, intelligence narrative, capacité à fédérer, sens de l’écoute.
L’humain augmenté par le sens
La mutation actuelle n’est pas uniquement technologique, elle est anthropologique. Dans un monde où les machines apprennent, génèrent, optimisent, la valeur humaine réside dans ce qui résiste à la formalisation : l’intuition, le lien, la conscience des conséquences, l’aptitude à faire émerger une direction commune. Le rapport d’Autodesk ne décrit pas un monde où l’humain est remplacé, mais un monde où l’humain est réorienté, vers des fonctions de sens, de médiation et de projection.Pour les entreprises, cela implique un changement de paradigme dans les stratégies de recrutement, de formation et d’organisation. Pour les professionnels, cela signifie que la compétence clé de demain ne sera pas la maîtrise parfaite d’un outil, mais la capacité à habiter intelligemment un système complexe, peuplé d’agents, de données et d’incertitudes. C’est là que se jouera l’avenir du travail augmenté.