L’intelligence artificielle générative (IAG) transforme en profondeur les modèles économiques, les pratiques managériales et les processus métiers. Ce faisant, elle soulève aussi des interrogations majeures sur la gouvernance d’entreprise. Loin d’être une simple technologie émergente, l’IAG s’impose aujourd’hui comme un levier d’efficacité
et d’innovation.
Pourtant, sa montée en puissance se heurte à un double défi : celui de la maturité des entreprises et de l’adaptation des organes de gouvernance. C’est dans ce contexte que KPMG a publié son enquête internationale intitulée « La Gouvernance face au défi de l’usage généralisé de l’IAG », menée auprès de dirigeants français et américains en 2024. L’étude projette un éclairage sur les perceptions, les inquiétudes et les niveaux de préparation des conseils d’administration face à l’essor rapide de l’IAG.
L’IAG, un vecteur de transformation
Les administrateurs interrogés, tant en France qu’aux États-Unis, perçoivent l’IA générative comme un vecteur de transformation, notamment en matière d’efficacité opérationnelle. En France, 69 % d’entre eux identifient l’optimisation des opérations – gains de productivité, réduction des coûts – comme le principal bénéfice attendu, loin devant le développement de nouveaux produits (13 %) ou l’augmentation des revenus des lignes existantes (9 %).Cependant, ce potentiel se heurte à un constat partagé : les entreprises manquent encore de maturité pour une intégration systématique de l’IAG dans leur stratégie. La transformation culturelle (64 %) et le besoin de nouvelles compétences (59 %) sont les deux principaux obstacles relevés, devant la réallocation des investissements (41 %) et la reconversion des effectifs (32 %).
Sur le plan des risques, les inquiétudes sont nombreuses. En France, la protection des données (55 %) figure au premier rang des préoccupations liées à l’usage de l’IAG, suivie par les cyberrisques (45 %), l’inexactitude des résultats (45 %) et les biais algorithmiques (41 %). Les administrateurs s’inquiètent aussi des enjeux éthiques, de la dépendance à des fournisseurs externes ou encore des violations potentielles des droits de propriété intellectuelle. L’impact sur l’emploi et l’employabilité arrive également en tête des préoccupations sociétales, cité par 79 % des répondants français, bien avant la désinformation (62 %) ou les tensions géopolitiques (45 %).
La gouvernance s’organise, dans le désordre
Face à ces défis, la gouvernance s’organise, mais de manière encore inégale. Un peu dans le désordre tant la vague est générale. En France, seuls 37 % des conseils d’administration supervisent directement les sujets liés à l’IA générative, contre 62 % aux États-Unis. Plus inquiétant, un tiers des entreprises françaises reconnaissent que le sujet n’est toujours pas traité au sein du conseil ou de ses comités spécialisés. Le comité d’audit reste l’instance la plus impliquée (36 %), mais la France se distingue par une quasi-absence de comités technologiques, fréquents outre-Atlantique. Cette différence souligne un retard structurel dans la prise en compte des enjeux technologiques au niveau de la gouvernance.L’expertise constitue un autre angle mort. Si 64 % des conseils français déclarent bénéficier d’une compétence technologique générale, seuls 14 % affirment disposer d’une expertise spécifique en IA générative. En l’absence de profils spécialisés, les administrateurs recourent majoritairement à des experts externes (55 %) ou à des sessions internes de formation (29 %), tout en reconnaissant la nécessité de renforcer leur autoformation – un besoin particulièrement exprimé par les répondants américains.
Enfin, l’adoption de l’IAG mobilise un large éventail de fonctions au sein de l’entreprise. En France, le directeur des systèmes d’information ou directeur technique (CTO/CIO) joue un rôle central (86 %), devant le PDG (82 %), le directeur des opérations (59 %) et le directeur financier (45 %). Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’identifier le porteur de la responsabilité ultime sur l’IAG en dehors du PDG, 50 % des administrateurs français citent le DSI/CTO, tandis que 14 % misent sur un futur « responsable de l’IA » (Chief AI Officer), fonction encore émergente dans l’Hexagone.
Cette enquête de KPMG met en lumière un paradoxe typique des phases d’accélération technologique : les entreprises perçoivent l’IAG comme une source majeure de création de valeur, mais peinent à structurer une gouvernance adaptée, dotée des compétences, des processus et des garde-fous nécessaires. Dans un contexte de régulation croissante – avec notamment l’entrée en vigueur prochaine du règlement européen sur l’IA –, il devient urgent pour les conseils d’administration français de combler leur retard. L’enjeu n’est pas seulement technique ou opérationnel ; il est stratégique. Faute d’un pilotage éclairé, les organisations risquent non seulement de manquer les opportunités offertes par l’IA générative, mais aussi de s’exposer à des risques juridiques, éthiques et réputationnels de grande ampleur.