Dans un monde aux équilibres en recomposition, les industriels accélèrent leur mutation vers la fabrication intelligente. La dixième édition, le rapport annuel de Rockwell Automation met en évidence une réorganisation stratégique autour de l’IA, de la cybersécurité et de l’automatisation. Des leviers technologiques devenus indispensables pour concilier agilité, qualité et résilience.

Les entreprises ont longtemps fondé leurs prévisions stratégiques sur un socle relativement stable de paramètres : la croissance économique mondiale, la disponibilité des ressources, la prévisibilité des politiques publiques, ou encore la stabilité géopolitique dans certaines régions clés. Or, depuis quelques années — et plus encore depuis les crises successives (sanitaire, énergétique, géopolitique) — cette base de référence s’est effondrée.

Les rivalités géopolitiques, notamment entre la Chine et les États-Unis, entraînent des perturbations directes sur les chaînes logistiques globales, provoquant des ruptures d'approvisionnement, des fluctuations brutales des prix, et une incertitude réglementaire renforcée. Cette dynamique de rééquilibrage mondial contribue significativement à la multiplication et à la simultanéité des crises auxquelles les entreprises industrielles doivent aujourd'hui faire face.

La transformation numérique, un impératif de court terme

Dans ce contexte inédit, la transformation numérique ne se réduit plus à un choix stratégique orienté sur le long terme, mais s'impose désormais comme un impératif de court terme. Les entreprises qui s'engagent résolument dans la numérisation gagnent en agilité, en capacité de réponse rapide aux chocs extérieurs, et optimisent leur résilience opérationnelle. C’est l’un des principaux enseignements de la dixième édition du rapport mondial sur la fabrication intelligente publié par Rockwell Automation, en partenariat avec Sapio Research.

Réalisée auprès de 1 560 décideurs de l’industrie manufacturière dans 17 pays, dont la France, l’étude montre que le secteur s’oriente vers une structuration autour d’un triptyque technologique : intelligence artificielle, cybersécurité renforcée et automatisation avancée. Ces trois leviers sont prioritaires dans les investissements des industriels interrogés en 2025, aux côtés du cloud et des systèmes de gestion de la qualité.

L’IA comme moteur de compétitivité

La première évolution notable est due à l’essor de l’intelligence artificielle. Si la maintenance prédictive en a longtemps été l’usage dominant, l’IA s’impose désormais comme un outil transversal, appliqué au contrôle qualité, à l’optimisation des procédés, à la cybersécurité et à la gestion logistique. La moitié des entreprises prévoit d’utiliser l’IA ou l’apprentissage automatique pour le contrôle de la qualité dans les 12 mois à venir, et près d’un tiers envisage de l’exploiter dans le domaine de la cybersécurité. L’IA causale et générative, citée par 12 % des répondants comme axe d’investissement en croissance, suscite également un intérêt grandissant pour sa capacité à renforcer la prise de décision en contexte incertain.

Contrairement à une idée répandue, cette automatisation n’induit pas une baisse des effectifs. Bien au contraire. Selon le rapport, 48 % des industriels envisagent de redéployer leurs salariés sur de nouveaux postes et 41 % indiquent qu’ils introduisent l’IA et l’automatisation pour compenser le déficit de compétences. Le besoin de formation et de requalification se confirme : 47 % des personnes interrogées estiment que la maîtrise de l’IA est désormais une compétence stratégique dans leur entreprise, en hausse de dix points par rapport à l’année précédente. La pensée analytique, la communication et le travail d’équipe sont par ailleurs considérés comme les qualités les plus importantes dans les recrutements à venir.

Cybersécurité : une priorité opérationnelle et RH

En parallèle, la cybersécurité devient une priorité majeure, tant du point de vue technologique que managérial. Elle passe à la deuxième place des préoccupations externes des industriels, juste derrière l’inflation. L’industrie manufacturière représente à elle seule 21 % des attaques par rançongiciel, selon une étude citée par Rockwell, ce qui explique le fait que les entreprises cherchent à sécuriser leurs architectures hybrides IT/OT. Près d’une sur deux prévoit d’intégrer l’IA à sa stratégie de cybersécurité cette année, tandis que 38 % exploitent déjà les données issues des équipements industriels pour renforcer leur posture de sécurité. Ce mouvement s’accompagne d’un repositionnement des ressources humaines : 47 % des répondants identifient désormais les compétences en cybersécurité comme « extrêmement importantes ».

Le rapport met également en lumière un paradoxe persistant autour de la donnée : bien qu’elle soit au cœur de la fabrication intelligente, sa valorisation reste encore limitée. Moins de 44 % des données collectées seraient exploitées efficacement. Pour combler ce déficit, les entreprises misent sur des plateformes cloud/SaaS, qui arrivent en tête des investissements technologiques, et sur des systèmes capables de contextualiser les données à toutes les étapes de la production. La promesse est de transformer ces données en leviers opérationnels mesurables, que ce soit pour améliorer la qualité, optimiser les flux logistiques ou détecter des vulnérabilités.

La fabrication intelligente s’ancre dans le réel

Enfin, l’étude souligne que cette transition vers une fabrication intelligente ne saurait se réduire à une superposition de technologies. Elle suppose une approche structurée, avec une feuille de route claire, des indicateurs de valeur identifiés et un pilotage serré de l’évolution des compétences. Rockwell Automation propose une démarche en huit étapes allant de l’identification des MVP (produits viables minimum) à la généralisation des cas d’usage, en passant par la gouvernance, l’évolution des architectures IT/OT et la gestion du changement.

Loin des promesses théoriques de l’industrie 4.0, les industriels interrogés par l’étude de Rockwell affirment aujourd’hui que la fabrication intelligente s’ancre dans le réel. Son déploiement ne vise pas uniquement à gagner en productivité, mais à répondre à une nouvelle exigence de résilience, de sécurité et de durabilité dans un monde marqué par les tensions multiples. Pour les DSI et les responsables industriels, l’enjeu est désormais de faire converger les technologies, les talents et l’organisation pour bâtir des chaînes de valeur capables de résister aux chocs, tout en conservant leur agilité.