Trois ans après l’irruption de ChatGPT, l’informatique d’entreprise évolue vers un modèle de valeur dominé par l’IA générative. Architectures, stratégies des fournisseurs et attentes des métiers s’en trouvent profondément bouleversées. Cette transformation, désormais mesurable dans tous les secteurs, aboutit à de nouveaux modèles économiques, une refonte des architectures et une redéfinition du rapport à la valeur.

La sortie de ChatGPT à la fin de 2022 à eu l’effet d’un catalyseur sur l’ensemble de l’industrie numérique. Jusque-là, l’IA demeurait réservée aux équipes R&D ou à des expérimentations sectorielles. L’accessibilité soudaine des modèles conversationnels, ainsi que leur intégration rapide dans les suites logicielles métiers, accélèrent la transformation des offres et des stratégies, aussi bien chez les fournisseurs majeurs que chez les éditeurs spécialisés.

Ce basculement s’observe dans les faits. En 2022, selon IDC, plus de la moitié des entreprises européennes n’envisageaient aucun projet d’IA générative. Trois ans plus tard, l’étude MIT/BCG 2025 recense déjà 74 % des grandes organisations et 57 % des PME équipées d’agents IA ou d’assistants métier fondés sur des modèles génératifs. Cette progression spectaculaire se manifeste aussi bien dans la finance (BNP Paribas, Société Générale), que dans l’industrie (Siemens, Schneider Electric), la santé (AstraZeneca, CHU de Lille), la distribution (Carrefour, Fnac Darty) ou encore le secteur public (DGFIP, AP‑HP).

Des architectures centrées sur une informatique orchestrée par l’IA

Avant ChatGPT, la majorité des entreprises reposaient sur des ERP monolithiques, des outils collaboratifs cloisonnés et des automatismes limités à la robotisation de processus. Depuis 2023, la généralisation des modèles de langage favorise l’éclatement des architectures et l’orchestration des services via API et agents contextuels. Microsoft Copilot, Salesforce Einstein et ServiceNow Now Assist incarnent cette mutation. Les plateformes évoluent pour ingérer, analyser et exploiter en temps réel les données métiers, y compris non structurées, tout en s’appuyant sur des architectures orientées événements ou sur le RAG. L’exemple d’Orange montre que la création d’un « data mesh » alimenté par des agents IA a permis de raccourcir de 30 % les délais de traitement des demandes métiers complexes.

L’adoption du cloud souverain et l’intégration de modèles IA spécialisés se généralisent pour répondre aux impératifs de conformité et de souveraineté, surtout dans le secteur public et la finance. À la DGFIP, l’introduction d’agents conversationnels fluidifie le support utilisateur tout en renforçant la traçabilité et la sécurité. La migration vers des solutions hybrides, mêlant cloud privé et public, apporte davantage de flexibilité, de supervision contextuelle et de maîtrise des coûts.

Vers l’intelligence augmentée embarquée

Les éditeurs historiques comme Microsoft, SAP, Oracle, Adobe ou Dassault Systèmes ont transformé leur stratégie. Toute offre métier intègre désormais des fonctions d’IA générative, allant des assistants aux résumés automatiques, en passant par la génération de documents ou l’aide à la décision. Salesforce illustre ce virage avec une gamme repensée autour d’Einstein et de l’Agentic Commerce Protocol. En 2025, 89 % de ses clients déclarent exploiter au moins une fonctionnalité agentique dans leurs processus commerciaux (étude interne Salesforce). SAP indique que Business AI a permis à ses clients de réduire de 20 % le temps de résolution des litiges fournisseurs, grâce à l’analyse sémantique automatisée des courriels et des documents contractuels.

Côté usages, l’essor reste tangible. Dans l’industrie, Siemens s’appuie sur des agents IA pour orchestrer la maintenance prédictive sur ses sites de production. Le CHU de Lille, côté santé, a déployé un scribe médical fondé sur GPT‑4 qui divise par deux le temps consacré à la documentation clinique. Ce basculement vers l’IA embarquée accélère la création de valeur directe, tout en imposant de nouveaux défis en matière de gouvernance et de formation des équipes.

Une création de valeur centrée IA

L’IA générative redessine toute la chaîne de valeur. Les fournisseurs ne commercialisent plus seulement des licences ou des abonnements, mais proposent des capacités d’orchestration, de personnalisation et d’automatisation via des agents IA. Microsoft annonce avoir converti 15 % des clients Office 365 à l’offre Copilot en moins d’un an (source Microsoft, juillet 2025). Chez ServiceNow, Now Assist suscite une hausse de 28 % des projets de transformation numérique parmi les grands comptes.

Les intégrateurs et les sociétés de conseil réorientent leurs missions vers l’accompagnement au changement, la formation à la gouvernance IA, la sécurisation des flux et la co‑création d’agents spécialisés. Atos et Capgemini ont lancé des centres d’excellence IA, mobilisant des équipes mixtes sur la conformité bancaire, l’optimisation logistique ou la maintenance prédictive industrielle. Ce déplacement de la valeur vers l’usage agentique reconfigure le dialogue entre fournisseurs, DSI et directions métiers.

Des processus humains à la gouvernance augmentée

L’extension de l’IA dans les processus métiers impose de nouvelles exigences de gouvernance, de transparence et de conformité. Selon KPMG, deux dirigeants français sur trois placent aujourd’hui l’encadrement éthique et la traçabilité des modèles au cœur de leurs critères de choix IT. AstraZeneca, par exemple, formalise une politique d’usage responsable de ChatGPT : chaque cas d’utilisation fait l’objet d’une évaluation de risque, d’un suivi éthique et d’une validation réglementaire. La réglementation européenne, portée par l’AI Act et le Data Act, impose désormais une supervision renforcée et la conservation systématique des traces générées par les agents IA.

La cybersécurité évolue elle aussi. Thales, Orange Cyberdefense et Eviden déploient des outils pour détecter l’usage non autorisé d’agents génératifs, prévenir les fuites de données sensibles et superviser les interactions entre modèles et systèmes critiques. Selon les études, près de six entreprises françaises sur dix ont renforcé leurs dispositifs de contrôle à la suite de l’introduction de l’IA générative dans leurs environnements professionnels (septembre 2025).

Productivité, innovation et adaptation

L’impact de ce basculement se mesure désormais. Selon BCG, l’adoption d’agents IA permet un gain moyen de 17 % sur les processus métiers et de 32 % sur les tâches documentaires ou créatives automatisées. Carrefour indique avoir réduit de 40 % le temps de traitement des litiges clients grâce à l’automatisation par agents IA. Le secteur public, de son côté, observe une réduction des délais de réponse et une amélioration de la qualité de service. La DGFIP rapporte une baisse de 25 % des appels redirigés vers les conseillers humains pour les questions fiscales courantes.

L’innovation s’accélère aussi avec la capacité à prototyper rapidement de nouveaux services, à expérimenter des agents verticaux ou à intégrer des assistants contextuels dans les ERP et les CRM donne une dynamique nouvelle à la transformation numérique. Les entreprises qui font ce choix signalent aussi une meilleure adaptation aux évolutions réglementaires et une capacité accrue à intégrer les retours des utilisateurs métier.

Trois ans après ChatGPT, l’informatique d’entreprise s’organise autour d’un nouveau paradigme : l’IA générative constitue désormais le socle de la valeur produite. L’offre des fournisseurs, les architectures, les compétences requises et la gouvernance s’en trouvent reconfigurées. La suite logique consistera à consolider la confiance, garantir l’équité et l’explicabilité, tout en intégrant pleinement l’IA dans le tissu opérationnel. Les entreprises capables d’articuler innovation, maîtrise du risque et valeur d’usage prendront la tête du marché de demain.

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