Il sait déjà presque tout de notre vie sociale, il occupe une partie de notre temps, et il squatte notre smartphone. Et maintenant, Facebook veut accéder à notre cerveau ! Moi, je vais réfléchir à deux fois avant de laisser Facebook pénétrer plus avant mon esprit…
Lors de la conférence annuelle des développeurs de Facebook, le Docteur Regina Dugan, qui dirige l’équipe R&D Building 8, a dévoilé le projet d’un serre-tête capable de se connecter avec certaines parties de notre cerveau pour dicter du texte. « Nous avons un objectif de créer un système capable de taper 100 mots par minute, cinq fois plus rapide que ce que vous pouvez taper sur votre smartphone, directement à partir de votre cerveau ».
Regina Dugan s’intéresse à notre cerveau
Regina Dugan n’est pas une inconnue. Elle a été Directeur de la DARPA (Défense Advanced Research Projects Agency), l’agence américaine qui pilote les projets et budgets de R&D de l’armée américaine, où elle a développé deux principes méthodologiques : la création de petites équipes plus performantes, et l’utilisation de ressources en dehors de la zone couverte par l’organisation. Principes qu’elle a reproduits en tant que Directeur du groupe ATAP (Advanced Technology and Projects), en charge des développements courts et de l’incubateur technologique interne de Google. Avant de rejoindre Facebook voici un an.
Ce n’est pas une surprise si on la retrouve chez Facebook, le géant des réseaux sociaux fait régulièrement son marché des cerveaux chez ses grands concurrents. Avec en particulier une longue pratique du braconnage des talents chez Google. Par ailleurs, Regina Dugan s’est déjà faite remarquer lors d’une intervention TED en 2012, qui avait révélé le travail mené sur le contrôle par l’esprit des drones.
Facebook n’en sait pas encore suffisamment sur nous !
Par sa démarche sociale, son invitation à communiquer par son intermédiaire, sa propriété d’Instagram et de WhatsApp, Facebook collecte déjà énormément d’informations personnelles. Il connaît notre famille, nos amis, nos domaines d’intérêt, nos goûts, nos dégoûts également, nos relations ‘intimes’, la musique que nous écoutons, les images que nous consultons, les évènements que nous suivons, et même nos opinions politiques. Cette somme d’informations est sans doute ridicule par rapport à ce que nous sommes, ce sont en revanche des informations pour beaucoup très personnelles, que pourtant nous lui abandonnons.
Le projet mené par Building 8 peut sembler anodin, voire sympathique. Qui d’ailleurs n’a pas rêver un jour de dicter par la pensée et que le texte que nous rédigeons s’écrive tout seul. Mais derrière ces expérimentations se cache une pratique plus qu’inquiétante : Facebook, mais aussi l’ensemble des GAFA, accumulent les informations qui nous concernent. C’est pour mieux servir les pubs qui s’affichent sur les pages que nous consultons, nous affirment-t-ils. Si ce n’était que cela…
La propriété des données dans le modèle anglo-saxon
Replaçons l’annonce de Facebook dans son contexte américain. Les GAFA étendus (on peut les compléter avec Microsoft, Oracle, SAP, Twitter, etc.) collectent et conservent des quantités phénoménales d’informations qui nous concernent. Et cela sans aucune régulation, en dehors du fait que c’est au consommateur de demander à être exclus de ces collectes, et non comme en Europe au fournisseur de demander l’accord du consommateur.
Les opérateurs télécoms, soumis à des règles plus anciennes, étaient contraints de respecter des règles plus restrictives. Mais Donald Trump a remédié à cela et pour les remercier d’avoir été l’une des rares industries IT à soutenir sa candidature, a dérégulé le secteur en les autorisant à exploiter librement les informations de leurs clients ! C’est toute l’industrie américaine qui aujourd’hui peut collecter les informations qui l’intéresse et en faire ce qu’elle veut…
Même la justice britannique a ajouté sa pierre à l’édifice en reconnaissant de fait à SAP la propriété des données contenues dans ses solutions afin d’interdire leur usage par d’autres applications, comme les CRM. Autrement dit, les données de l’entreprise ne lui appartiennent pas puisque, si l’on suit la décision du juge, elle ne peut les exploiter selon son bon vouloir !
L’Amérique à la conquête de nos esprits
Et voici que Facebook annonce, par la voix de Regina Dugan, vouloir dicter les textes sur nos smartphones directement par la pensée. Génial, me direz-vous, nous entrons dans l’ère de Star Trek et de l’optimisation accrue de la productivité intellectuelle. Certes, mais que va faire Facebook ? Il traduit nos ondes cérébrales en texte, donc les informations produites par notre cerveau en données. De la data cérébrale en quelque sorte.
Mais derrière la présentation que l’on veut idyllique d’un monde virtuel qui s’ouvre à nous, se cache une réalité bien plus sombre. Le discours des GAFA qui œuvrent pour le bien de l’humanité finit toujours par se traduire par nos données quoi se retrouvent dans leurs datacenters et qu’ils exploitent à notre insu. Peu importe leurs arguments, l’anonymisation des données se concrétise aujourd’hui par la publicité qui nous correspond, et qui devrait nous faire craquer pour le produit qu’elle promotionne. Et demain ? Par l’information qui nous poussera inconsciemment pour voter pour le candidat que l’on nous imposera ?
La démarche de Facebook, pour innovante qu’elle soit, cache une autre réalité : aujourd’hui, nous offrons aux GAFA les informations qui nous concernent, demain, ils iront les rechercher dans notre cerveau, sans même que nous en soyons conscients. Et après-demain ? Ils piloteront nos décisions ? Il nous faut prendre conscience qu’en l’absence de contrôle et de règles d’éthiques, autres que celles que les GAFA se forgent pour elles-mêmes, après la donnée viendra… un avenir où l’homme et ses prises de décisions n’appartiendront plus à lui-même !
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