Lorsqu’un système d’IA dépasse le milliard de neurones sur un ordinateur de bureau et imite à la perfection le fonctionnement du cerveau, on se dit que le temps des machines arrive à grands pas. Cependant, ce n’est pas si simple, car de l’imitation à la cognition, il y a un grand fossé.

Dans le cadre d’une expérimentation menée par FutureAI pour le développement de l’intelligence artificielle à usage général (Artificial General Intelligence ou AGI), le simulateur neuronal Brain Simulator II a utilisé avec succès un milliard de neurones sur un ordinateur de bureau composé entièrement de composants que l’on trouve dans le commerce. Du point de vue des performances, le système a traité trois milliards de synapses par seconde.

Brain Simulator II est une plateforme logicielle open source permettant de prouver l’évolution de l’intelligence artificielle vers l’AGI. Elle permet l’expérimentation de divers algorithmes d’IA pour développer un système AGI de bout en bout avec des modules pour la vision, l’audition, le contrôle robotique, l’apprentissage, la modélisation interne, et même la planification, l’imagination et la prévoyance. Mais qu’est-ce donc que l’IA à usage général ?

Jusqu’à présent lorsque nous abordions le sujet de l’intelligence artificielle, il s’agissait d’une IA appliquée, à la reconnaissance faciale ou à la sécurité informatique par exemple. Celle-ci est entrainée selon des modèles déterminés pour un résultat applicable dans un domaine précis, comme ceux cités plus haut. C’est de l’intelligence artificielle appliquée.

Un Graal difficile à atteindre : l’IA à usage général

L’IA à usage général, acronymisée AGI en anglais, est une intelligence artificielle qui, dans ses modes d’apprentissage et de restitution du savoir et de l’expérience, imite les facultés cognitives de l’être humain. C’est en fait une IA qui n’est spécialisée dans aucun domaine, mais qui peut apprendre. Mise en présence d’un phénomène inconnu, une tâche à reproduire par exemple, elle utilise ses capacités d’analyse et d’apprentissage pour reproduire la tâche qui lui est présentée. Il s’agit simplement d’imiter le mode de fonctionnement du cerveau d’un être humain moyen.

Mais si c’est simple à expliquer, la reproduction du fonctionnement complexe du cerveau n’est pas si simple. Celui-ci fonctionne selon des schémas qui ne sollicitent pas toutes ces capacités en même temps, contrairement aux modèles d’IA appliquée. C’est ce qu’a accompli Brain Simulator II avec un modèle de neurones ressemblant davantage à des neurones biologiques qu’aux modèles d’IA traditionnels. L’ordinateur utilisé pour cette réalisation comprenait un processeur AMD RyzenThreadripper 3990X fonctionnant à 2,9 GHz (non overclocké) et 128 gigaoctets de RAM.

Mieux que le néocortex humain…

L’analyse de l’énergie du néocortex (la partie du cerveau où l’on pense à un niveau supérieur) montre que les neurones connaissent un pic en moyenne, une fois toutes les six secondes seulement. Cela signifie que les 16 milliards de neurones du cerveau ne génèrent que 2,5 milliards de pics par seconde au total. Le modèle de neurones à pics de Brain Silulator II n’a traité que les neurones qui ont des pics dans un intervalle de temps spécifique, plutôt que de les traiter tous, et peut donc être des milliers de fois plus rapide que les réseaux neuronaux artificiels traditionnels.

« Cette machine dépasse les performances de traitement du néocortex humain, a déclaré Charles Simon, PDG de FutureAI et co-créateur de Brain Simulator en 1988. L’unité centrale contient à elle seule près de 40 milliards de transistors et chaque transistor est près d’un milliard de fois plus rapide que chacun des 16 milliards de neurones du néocortex ». Cependant, entre imiter le fonctionnement du cerveau et reproduire la cognition d’un être humain moyen, il y a un océan que les scientifiques ne sont pas prêts de franchir.

… mais moins bien que l’intelligence humaine

Car, le nombre de synapses (qui relaient les signaux entre les neurones) est la clé de l’estimation de la performance relative. Alors que le cerveau humain compte des milliers de synapses pour chaque neurone, la plupart sont soit redondantes, soit des synapses « en attente », qui pourraient représenter des souvenirs si le besoin s’en faisait sentir. En fonction du nombre de synapses utilisées pour l’estimation, la simulation actuelle va d’une capacité supérieure à celle du néocortex à une vitesse peut-être cent fois plus lente (mais facilement surmontable avec quelques racks de serveurs).

La recherche en intelligence artificielle est un domaine qui commence à peine à explorer les champs des possibles. C’est un domaine d’études en elle-même, mais c’est aussi un domaine qui est de plus en plus étudié par des sciences dont les méthodologies sont issues de l’anthropologie et de l’ethnologie. En février dernier, Andreas Sudmann, spécialiste allemand des médias et chercheur à l’Université de la Ruhr a lancé la première étude ethnographique, androïdographique ou l’ethnorobographique devrions-nous dire, visant à étudier les avatars numériques alimentés par l’IA.

« L’étude suivra le démarrage de l’IA soutenu par Microsoft M12, Twenty Billion Neurons, et examinera comment différentes formes de médias participent à la génération et à la production de connaissances et de pratiques en matière d’IA », expliquait le scientifique. Bien qu’elle paraisse incongrue, cette étude peut nous en apprendre beaucoup sur les mécanismes et la créativité propres à L’AGI.

Les exploits retentissants de l’IA peuvent conduire à penser qu’il n’y a pas grand-chose que cette technologie ne peut pas faire mieux que l’homme. Ce qui soulève l’enthousiasme de certains et provoque des angoisses chez d’autres. Alors que les premiers pensent que l’IA peut profiter aux humains en les délestant des tâches ingrates et abrutissantes, les seconds y voient un substitut dangereux qui ne peut qu’asservir une humanité devenue dépendante de sa technologie. La vérité doit se trouver quelque part entre les deux positions. Pour paraphraser Paul Valéry : le monde tient par son milieu et avance par ses extrêmes.Rappelons enfin que le mot robot vient du tchèque « robota », qui veut dire « travail pénible » ou « corvée », et dont la racine slave est « rabota » qui veut dire travail.