Dans son dernier rapport public, la Cour des comptes revient sur deux grands projets qui sont loin d’avoir donné les résultats attendus - doux euphémisme ! - et dans lesquels le volet informatique occupe une place importante. Avec, à la clé, des additions très salées.
De notre journaliste Gérard Ramirez del Villar, expert de l'informatique du secteur public
Quel est le point commun entre la solde des militaires et le versement des aides agricoles ? Tous deux sont d’épineux dossiers que la Cour des comptes a, une nouvelle fois, évoqués (épinglé ?) dans son dernier rapport public.
Le premier n’est autre que célèbre projet Louvois (LOgiciel Unique à VOcation Interarmées de la Solde). Ce logiciel destiné au calcul des soldes des militaires a été lancé en 2011. Dès son origine il a connu «
des dysfonctionnements graves et durables », compromettant «
l’exactitude » même des soldes versées aux militaires, soit environ 180.000 personnes.
Louvois, la gestion des soldes des militaires, est loin d'être soldé !
Rapidement l’affaire a été soulevée par la Cour des comptes (sous forme d’un référé) pour donner lieu à ses recommandations en 2014 et à un projet de remplacement de l’application défaillante par un autre système (du nom de Source Solde).
Aujourd’hui, la Cour des comptes constate que les efforts réalisés doivent être «
poursuivis » mais qu’ils ont aussi «
un coût élevé ». Les dysfonctionnement ont en effet nécessité des renforts en personnel (15 M€ en 2013 et 18 M€ en 2014), ainsi que des «
prestations d’assistance extérieures, tant pour les services informatiques que pour le centre expert de ressources humaines et de la solde de Nancy » : soit 7 M€ en 2013 et 20 M€ en 2014. A cela s’ajoutent «
7,5 M€ de travaux inutilisables découlant de la suspension de projets informatiques liés à la solde ». Le tout, sans oublier la délicate et importante question de la récupération des versements indus (les 'trop-versés') : «
les trop-versés identifiés atteignaient à la mi-novembre 2015 un montant total cumulé de 358 M€ depuis 2011, et seulement 171 M€ avaient été recouvrés ».
Quant à l’avenir, il s’annonce chargé puisqu’il s’agira, non seulement, d’assurer la «
nécessaire cohérence » des chantiers Louvois (maintenu jusqu’en 2021) et Source Solde (mise en place par étapes à partir du début 2017), mais encore, de lever les «
nombreuses incertitudes » pesant encore sur la mise en place du nouveau système.
Aides agricoles : trop de systèmes d’information
La Cour des Comptes a également abordé dans son rapport public annuel 2016 la question des organismes payeurs des aides agricoles, dont la réforme, entamée en 2009, n’est toujours pas complètement achevée.
Schématiquement, il s’agissait de regrouper des nombreuses entités existantes autour de trois organismes : le premier, l’ASP (Agence de services et de paiement), traitant les aides aux exploitants ; le deuxième, FranceAgriMer, tourné vers le secteur industriel ; et le troisième, ODÉADOM, à destination des acteurs agricoles de l’outre-mer. Leurs versements étaient, pour 2014, respectivement de 18,85 Md€, 734 M€ et 299 M€.
Ici, la Cour des comptes estime que cette fusion des organismes entraîne finalement des surcoûts pour les finances publiques. Le contraire de l’objectif recherché. Les raisons en sont diverses (masse salariale, politique immobilière…). Parmi elles, figure aussi la rationalisation inachevée des systèmes d’information, malgré des dépenses très conséquentes en ce sens - ASP : 323 M€ sur la période 2009-2014, coût complet, dépensés avec un suivi «
très rigoureux » ; FranceAgriMer : 35,5 M€ en trois ans.
Cette situation vient de l’existant : trop de systèmes d’informations (cinq pour les paiements effectués par l’ASP) et trop d’applications. Sur ce dernier plan, 195 pour l’ASP et 145 pour FranceAgriMer, ceux de l’ODÉADOM étant, eux, «
proches de l’obsolescence ». Face à cela, les enjeux sont considérables : l’ASP par exemple gère 1.000 dispositifs d’aide, 20 millions de dossiers, 19 millions de bénéficiaires et 50 millions de demandes de paiement. Autant d‘éléments qui nécessitent la poursuite de la rationalisation et la mise en place, sous la tutelle du ministère, d’une mutualisation jusqu’à maintenant «
très réduite ». Rendez-vous est pris pour le prochain rapport public… ou avant !
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https://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Le-rapport-public-annuel-2016
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