Dans notre monde numérique interconnecté, rares sont les organisations qui maîtrisent encore les technologies qu’elles utilisent au quotidien. Une récente étude montre que plus de 60 % des responsables IT britanniques voient dans la dépendance du gouvernement envers les clouds américains une menace directe pour l’économie numérique, l’industrie et la sécurité des données du pays. Côté français, 50 % des décideurs ont déjà écarté une solution IT pour des raisons de souveraineté, et près de 80 % estiment que ce critère pèsera de plus en plus lourd dans leurs choix futurs. Alors la question n’est plus “faut-il s’en préoccuper ?”, mais “jusqu’où doit-on aller ?”. À quel point une stratégie numérique doit-elle être ancrée localement pour réellement servir ses utilisateurs ? Et jusqu’où les modèles de plateformes mondiales, séduisants par leur évolutivité, échouent-ils à répondre à nos besoins réels ?

Un contexte qui change la donne

Cette dépendance à des prestataires externes — infrastructures, logiciels, services numériques — s’inscrit dans un environnement géopolitique tendu, où chaque incertitude de la chaîne d’approvisionnement fragilise la résilience et l’autonomie numérique. Ajoutons à cela une avalanche réglementaire (NIS2, DORA, Cyber Resilience Act, AI Act…) qui impose aux entreprises, surtout dans les secteurs régulés, de reprendre la main sur leurs données, leurs infrastructures et leurs décisions. La souveraineté numérique, autrement dit, la capacité à garder le contrôle de son environnement technologique, n’a jamais été aussi stratégique. Ce qui relevait hier de la conformité est devenu aujourd’hui un pilier essentiel de la transparence, de la continuité d’activité et de l’indépendance décisionnelle.

Les idées reçues à déconstruire

La souveraineté, on en parle beaucoup… mais on la comprend souvent mal. Trop souvent réduite à la localisation des données, elle englobe en réalité trois dimensions indissociables : technique, opérationnelle et stratégique. Héberger ses serveurs en Europe ne suffit pas si l’on ne maîtrise ni la conception, ni la maintenance, ni le support des systèmes. Stocker localement sans comprendre ce qui tourne en dessous, c’est comme fermer la porte d’une maison dont on n’a pas les clés.

Autre idée reçue : recourir à des plateformes cloud reviendrait à abandonner toute souveraineté. Faux. On peut très bien tirer parti de technologies externes tout en gardant le contrôle à condition que cette exigence soit intégrée dès la conception. La souveraineté, ce n’est pas dire “non” à tout : c’est être capable de comprendre, gouverner et remplacer ce qu’on utilise, selon ses propres règles.

Reprendre la main, pas tout réinventer

La souveraineté n’est pas un état figé. C’est un chemin, fait de décisions successives, visant à réduire les dépendances et à renforcer son pouvoir d’action.

Tout commence par une cartographie honnête des dépendances existantes : où sont mes verrous ? Quelles technologies ou contrats me lient à d’autres ? Et surtout : puis-je en sortir sans casser mon activité ? Les organisations les plus avancées ne rejettent pas les grandes plateformes, elles les interrogent. Elles se demandent : qu’est-ce que je contrôle vraiment ? Qu’est-ce qui pourrait me bloquer demain ? La souveraineté, c’est aussi une question de gouvernance continue : qui décide, qui accède, et que se passe-t-il si le cadre change ? C’est la capacité à agir seul, sans dépendre d’un tiers, quand tout bouge autour.

De la contrainte à l’avantage

Atteindre ce niveau d’assurance suppose de renforcer les compétences internes. Il ne s’agit plus seulement d’évaluer une technologie sur son coût ou sa commodité, mais aussi sur sa transparence, son interopérabilité et sa viabilité à long terme. Les organisations réellement souveraines savent quelles briques sont vitales, où se trouve leur autonomie, et quels leviers elles peuvent activer en cas de besoin. Elles s’appuient sur des standards ouverts, des systèmes ancrés régionalement, et des clauses de réversibilité claires. Elles ne subissent plus les changements : elles les anticipent. Et à ce stade, la souveraineté cesse d’être un casse-tête réglementaire. Elle devient un avantage compétitif durable, un signe de confiance, de maîtrise et d’indépendance.

Par Cyril Cuvier, Solutions Architect, SUSE

publicité