À chaque flambée géopolitique, l’Europe et le Moyen-Orient deviennent le théâtre d’un déferlement d’attaques par déni de service distribué. Selon le rapport semestriel de Netscout, plus de 8 millions d’attaques ont été recensées dans le monde au premier semestre 2025, dont 3,2 millions dans la seule zone EMEA. Derrière ces chiffres, se cache une réalité préoccupante : l’espace numérique européen semble encaisser, encore et toujours, la majorité des ondes de choc du cyberconflit mondial.
Les attaques DDoS fluctuent et changent de cibles au rythme des tensions géopolitiques, et elles ne sont plus un simple moyen de nuisance. Elles constituent aujourd’hui une arme d’influence, utilisée comme signal ou représailles dans des contextes politiques tendus. Lors du Forum économique mondial de Davos, la Suisse a subi plus de 1 400 attaques en une semaine, soit deux fois plus qu’en décembre précédent. Les infrastructures italiennes ont été frappées au moment des débats politiques de février, tandis que les tensions entre l’Iran et Israël ont généré plus de 15 000 offensives en quelques jours. Dans tous les cas, la région EMEA reste l’épicentre visible d’un phénomène global : la numérisation des conflits, où la frontière entre l’attaque ciblée et le dommage collatéral devient floue. Dans ce contexte, les botnets sont devenus les armées invisibles d’un monde sous tension.
Le rapport décrit un écosystème d’une ampleur inédite : des réseaux de dizaines de milliers d’objets connectés, de serveurs et de routeurs compromis, mobilisés pour des attaques éclairs d’environ dix-huit minutes. En mars, plus de 27 000 attaques ont été menées par des botnets, soit près d’une toutes les deux minutes contre les fournisseurs de services. Ces armées numériques se recomposent en permanence, exploitant les mêmes failles que les équipes de défense peinent à combler. L’évolution technique est moins une question d’innovation qu’une question d’endurance, car les acteurs malveillants disposent d’une capacité d’adaptation bien plus rapide que celle des réseaux qu’ils saturent.
Pourquoi l’Europe encaisse-t-elle autant ?
Les groupes NoName057 (16), Keymous+ ou DieNet incarnent cette hybridation des motivations. Le premier a revendiqué près de 500 attaques en mars, essentiellement contre des sites publics européens. Le second combine revendication idéologique et prestation de service via des infrastructures DDoS en location. Ce modèle de « DDoS-as-a-Service » abolit toute barrière technique : un message, une adresse IP et quelques clics suffisent pour déclencher une vague de requêtes artificielles capables d’interrompre des services critiques. Les campagnes s’appuient sur des canaux de communication publics, alimentant la confusion entre fait et mise en scène. Les chiffres de Netscout confirment cette dérive, les attaques se comptant en milliers, mais les déclarations des groupes se chiffrent en dizaines de milliers.
Aucune cause unique ne permet d’expliquer cette concentration. Les infrastructures européennes sont denses, interconnectées et exposées à la fois sur les plans civil, institutionnel et industriel. Elles hébergent de nombreux services internationaux, et chaque tension politique ou économique résonne mécaniquement dans le réseau. L’espace EMEA cumule aussi une pluralité d’acteurs, opérateurs, administrations, entreprises, qui partagent des ressources communes, sans disposer d’une coordination stratégique équivalente à celle des grandes puissances numériques. Cette perméabilité, conjuguée à la visibilité médiatique du continent, fait de l’Europe un terrain privilégié pour mesurer la portée symbolique d’une attaque.
Face à cette réalité, les réponses purement techniques montrent leurs limites. La lutte contre les DDoS devient un enjeu d’écosystème combinant l’observabilité, le partage d’indicateurs, l’automatisation et la défense adaptative. Les solutions évoquées par Netscout, visibilité réseau, apprentissage automatique et détection proactive, traduisent une évolution vers des architectures défensives plus cognitives. Mais la véritable question reste politique : comment bâtir une résilience collective à l’échelle d’un continent ? Tant que les infrastructures resteront interdépendantes sans cadre de gouvernance unifié, chaque crise mondiale trouvera en EMEA un point d’impact privilégié.