Le tribunal de commerce de Madrid condamne Meta à verser 479 millions d’euros à la presse numérique espagnole, jugeant que l’entreprise a détourné le RGPD pour optimiser son avantage publicitaire, en causant un préjudice structurel à l’équilibre du marché. Ce précédent européen éclaire la façon dont les grandes plateformes exploitent les données personnelles pour imposer leur domination face aux éditeurs locaux.
La décision, rendue le 19 novembre 2025, sanctionne de façon exemplaire les pratiques de Meta sur la période allant de mai 2018 à août 2023. Selon le jugement, l’entreprise a abandonné le recueil explicite du consentement des utilisateurs pour le traitement de leurs données à des fins publicitaires, au profit d’une base juridique reposant sur « l’exécution du contrat ». Ce choix, contesté par les éditeurs et examiné en détail par le tribunal, a permis à Meta de collecter et d’exploiter massivement des informations personnelles sans l’accord éclairé des internautes. Le tribunal considère que cette évolution, en contradiction avec le RGPD, a procuré à Meta un avantage compétitif déloyal sur le marché publicitaire numérique espagnol.
Le cœur de la condamnation réside dans l’utilisation illicite des données, car Meta, via ses plateformes Facebook et Instagram, a systématiquement exploité les données personnelles d’utilisateurs espagnols à des fins de profilage publicitaire, sans respecter les obligations de consentement explicite du RGPD. En fondant la légitimité de ses traitements sur l’exécution d’un contrat, la société a privé les internautes d’un choix effectif et contourné les exigences européennes de protection des données. Cette méthode a permis à Meta de générer une rentabilité supérieure sur la période, le tribunal retenant un chiffre d’affaires direct de plus de 5,28 milliards d’euros. Sur cette base, l’indemnité de 479 millions d’euros vise à compenser la perte de revenus des éditeurs victimes de pratiques jugées déloyales et anticoncurrentielles.
Une pratique qui altère les conditions de la concurrence
La collecte étendue de données par Meta a permis d’affiner le ciblage publicitaire, renforçant l’attractivité de ses espaces face aux inventaires proposés par les médias espagnols. Les éditeurs, soumis à des contraintes strictes de recueil du consentement, se sont retrouvés dans l’incapacité d’offrir la même précision de ciblage aux annonceurs, ce qui a provoqué une distorsion durable du marché. Le jugement souligne que l’avantage indûment acquis par Meta n’est pas seulement financier, il modifie en profondeur les conditions de la concurrence, accentuant la dépendance des annonceurs et des éditeurs à l’écosystème des grandes plateformes. Cette asymétrie fragilise le modèle économique de la presse, accentue la concentration des investissements publicitaires chez les géants technologiques et érode la diversité du paysage médiatique.
La décision du tribunal madrilène consacre le principe selon lequel la conformité aux normes de protection des données ne relève pas d’une simple formalité administrative, mais constitue un paramètre essentiel de l’équité concurrentielle. En condamnant la logique de « contrat » adoptée par Meta, la justice espagnole pose un repère pour l’ensemble des juridictions européennes. Les éditeurs espagnols, à travers cette action collective, deviennent les premiers à obtenir une reconnaissance chiffrée du préjudice causé par la stratégie d’exploitation massive des données menée par une plateforme mondiale. L’arrêt crée un précédent dont pourraient se saisir d’autres acteurs médiatiques, en Espagne comme ailleurs, pour réclamer une redistribution de la valeur publicitaire ou renforcer leur pouvoir de négociation face aux plateformes.























