Samsung Electronics développerait un modem Exynos capable de relier directement les terminaux aux satellites Starlink. Ce mouvement stratégique amorcerait l’intégration des fondeurs dans la chaîne de valeur des réseaux non terrestres, en prévision des infrastructures 6G distribuées et intelligentes.

D’après notre confrère sud-coréen Korea Economic Daily, Samsung développerait un modem Exynos capable de dialoguer directement avec les satellites Starlink, dans le cadre d’un partenariat technologique avec SpaceX. L’objectif supposé serait de proposer une solution embarquée dans les terminaux, permettant une communication bidirectionnelle avec les constellations à orbite basse (LEO), en anticipant l’architecture des futurs réseaux 6G non-terrestres. Ce type de connectivité, appelé NTN, viserait à garantir la continuité de service dans les zones dépourvues d’infrastructure terrestre ou soumises à des perturbations environnementales, économiques ou géopolitiques. Cette orientation traduirait un basculement stratégique : Samsung ne se limiterait plus à la production de puces mémoire ou de processeurs pour smartphones, mais s’intégrerait désormais dans les couches d’infrastructure du réseau mondial.

Pour Samsung, ce positionnement signalerait une volonté de remonter dans la chaîne de valeur des télécommunications, en visant des composants à plus forte marge et à portée géopolitique. L’entrée sur ce segment stratégique renforce la transition du constructeur sud-coréen vers une logique de plateforme complète, articulant calcul embarqué, intelligence contextuelle et interconnexion orbitale.

Le spatial devient un débouché industriel pour les fondeurs

Le développement d’un modem Exynos pour les constellations Starlink traduirait un élargissement progressif du champ d’action de Samsung. Jusqu’ici centré sur la mémoire, les SoC mobiles et les puces, le groupe entrerait dans un segment longtemps réservé aux équipementiers spécialisés. Ce virage est motivé par la montée en puissance des constellations satellitaires commerciales, dont la couverture planétaire et la résilience en font des éléments critiques pour les télécoms, la défense, la logistique ou les services d’urgence.

Le segment des puces NTN reste faiblement occupé. Qualcomm et MediaTek ont amorcé des collaborations avec des opérateurs satellites, mais leurs offres sont encore limitées à des fonctions d’alerte ou de secours. Samsung viserait plus haut : une intégration native de la communication satellite dans les usages métier, via une puce embarquant également des fonctions d’intelligence artificielle locale. Cette orientation est cohérente avec l’ambition annoncée d’« IA partout », portée par les nouvelles générations d’Exynos depuis 2023.

Selon les sources industrielles, ce modem embarqué dans les smartphones pourrait préfigurer une gamme de composants plus larges, destinés aux objets connectés, aux drones ou aux équipements industriels mobiles. L’espace deviendrait ainsi un nouveau terrain d’intégration pour les fondeurs, capable d’absorber une partie des surcapacités et d’ouvrir de nouveaux relais de croissance.

Une architecture edge orbital pour plus de résilience

Le modem NTN en cours de développement ne se limiterait pas à la connectivité brute. Il intégrerait, selon plusieurs sources, des modules d’IA embarquée capables de filtrer, compresser ou interpréter les données avant transmission. Cette capacité locale de traitement répond à une logique de edge computing orbital, dans laquelle chaque nœud (terminal, satellite, passerelle) joue un rôle actif dans l’optimisation des flux.

Cette approche décentralisée vise à renforcer la résilience des communications dans les environnements contraints ou dégradés. En réduisant la dépendance aux liaisons montantes, en priorisant les données utiles, et en assurant une autonomie partielle des terminaux, ces architectures hybrides redéfinissent le périmètre du réseau. La puce devient alors un maillon stratégique d’un système d’information distribué, capable d’interagir dynamiquement avec des infrastructures multiorbite.

Cette combinaison entre traitement local et connectivité satellitaire pourrait intéresser les opérateurs de réseaux privés, les autorités de gestion des risques, ou les secteurs industriels déployant des équipements en terrain isolé. Elle s’inscrit aussi dans les priorités de cybersécurité, en limitant les surfaces d’attaque et en rendant les flux plus difficiles à intercepter ou à perturber.

Un alignement tactique avec les infrastructures SpaceX

Samsung profiterait ici d’une fenêtre stratégique unique : SpaceX accélère le déploiement de ses services B2B, avec des offres ciblant les secteurs maritime, aéronautique, militaire et rural. En intégrant nativement les spécifications Starlink dans ses composants, Samsung se positionnerait en partenaire privilégié pour la fourniture de modems embarqués et de passerelles compatibles.

Cette stratégie permettrait au géant sud-coréen d’acquérir une avance technique et de proposer des solutions clés en main à ses clients industriels. À moyen terme, cela pourrait déboucher sur une normalisation partielle des protocoles NTN autour des standards SpaceX, marginalisant les initiatives concurrentes. Une telle configuration poserait toutefois des questions de souveraineté technologique pour les régions cherchant à bâtir des alternatives, notamment en Europe ou en Asie du Sud-Est.

En liant ses composants à une infrastructure propriétaire et globalisée, Samsung s’exposerait aussi à des risques d’interdépendance, notamment en cas de restrictions réglementaires, de bifurcations stratégiques chez SpaceX, ou de tensions géopolitiques impactant les services orbitaux.

Une gouvernance multi-orbite à anticiper côté entreprise

Pour les DSI et responsables réseaux, l’arrivée de terminaux compatibles NTN invite à repenser l’architecture des systèmes d’information. L’intégration de l’espace comme couche active du réseau implique de nouvelles approches en matière de routage, de sécurité, de supervision et de gestion des performances.

Plusieurs industriels — dans l’énergie, la défense, la logistique ou les services publics — expérimentent déjà des liaisons hybrides 5G + satellite pour sécuriser leurs sites sensibles. Ces dispositifs nécessitent une gouvernance technique spécifique, capable d’orchestrer des flux multi-orbite, de garantir la continuité des échanges et d’assurer une qualité de service équivalente aux standards terrestres.

Cette évolution des réseaux d’entreprise vers des architectures mixtes, flexibles et résilientes impose une montée en compétence des équipes IT, une coordination renforcée avec les métiers, et un alignement stratégique avec les fournisseurs d’infrastructure. Le satellite n’est plus une redondance passive. Il devient un levier d’adaptabilité, de souveraineté et de performance dans les trajectoires de transformation numérique.

Le spatial s’impose comme horizon technologique des semi-conducteurs

Avec cette annonce, Samsung inscrit sa feuille de route dans une recomposition plus large des chaînes de valeur technologiques. Les fondeurs cherchent à élargir leur périmètre fonctionnel, à sortir de la dépendance aux cycles mobiles, et à s’implanter dans les couches critiques des infrastructures numériques mondiales. L’espace, par sa complexité, sa portée stratégique et son potentiel de différenciation, devient un terrain d’expérimentation et d’industrialisation à part entière.

Ce mouvement est cohérent avec la montée des exigences de connectivité globale, de traitement embarqué, et de résilience systémique. Il accompagne également la constitution d’un marché dual, civil et stratégique, dans lequel les composants électroniques doivent conjuguer robustesse, intelligence et compatibilité orbitale. Pour les fournisseurs européens, cette accélération pose un dilemme. Faut-il coopérer avec les constellations en place ou miser sur des modèles alternatifs plus souverains ?

Dans tous les cas, l’initiative de Samsung révèle un basculement du numérique vers un modèle d’infrastructure étendue, où les terminaux, les satellites et les réseaux terrestres ne forment plus des silos séparés, mais un continuum distribué d’interconnexions et de traitements. L’économie orbitale devient l’un des futurs terrains de la compétition entre plateformes.

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