Selon le rapport 2025 de PwC, l’intelligence artificielle redessine les contours du marché mondial des semiconducteurs. En moins de dix ans, la valeur du secteur pourrait dépasser les 1 000 milliards de dollars, portée par la demande croissante en processeurs spécialisés, en mémoires HBM et en puces conçues pour les charges IA. Cette dynamique s’accompagne d’une redistribution géopolitique et industrielle où la souveraineté électronique devient un enjeu central.

Depuis plusieurs décennies, les semiconducteurs forment le socle silencieux de la transformation numérique. L’essor de l’intelligence artificielle marque désormais un tournant. L’industrie entre dans un nouveau cycle dominé par la puissance de calcul et la spécialisation des architectures. Des datacenters aux véhicules connectés, en passant par les objets intelligents, chaque innovation dépend désormais de la capacité à concevoir et à produire des circuits optimisés pour des usages précis.

PwC décrit cette mutation comme une seconde révolution du silicium, soutenue par trois moteurs principaux. L’industrialisation de la mémoire à haute bande passante (HBM) d’abord, la généralisation des circuits dédiés à l’intelligence artificielle ensuite, et enfin la réorganisation mondiale des chaînes d’approvisionnement. Ces transformations modifient profondément les rapports de force entre États, fabricants et concepteurs.

Un marché en expansion sous tension géopolitique

Le cabinet anticipe une croissance deux fois plus rapide que celle du PIB mondial pour atteindre 1 000 milliards de dollars en 2030. La progression sera portée par les circuits logiques et les mémoires, dopés par les besoins massifs en calcul IA et en traitement distribué. Le segment des mémoires HBM, devenu essentiel pour les serveurs d’apprentissage automatique et les supercalculateurs, devrait croître de 64 % en volume et de 58 % en valeur d’ici 2028. La valeur du marché se déplace désormais vers les composants les plus intelligents et les plus sobres en énergie.

Cette expansion s’effectue dans un contexte de forte rivalité technologique. Les États-Unis et la Chine investissent massivement pour sécuriser leurs approvisionnements. Washington mobilise plus de 400 milliards de dollars via le CHIPS Act tandis que Pékin soutient ses champions nationaux. L’Union européenne tente de combler son retard avec un plan de 46 milliards en s’appuyant sur des acteurs comme STMicroelectronics ou Infineon. Tous partagent une même préoccupation, celle de réduire leur dépendance vis-à-vis de l’oligopole asiatique dominé par TSMC, Samsung et SK Hynix.

L’IA bouleverse la hiérarchie des acteurs

Jusqu’à récemment, le marché reposait sur un petit nombre de fonderies et de concepteurs historiques. L’arrivée de l’intelligence artificielle redistribue les positions. Nvidia, AMD et de nouveaux entrants comme Cerebras ou Tenstorrent conçoivent des architectures sur mesure adaptées à des modèles IA ou à des besoins sectoriels spécifiques. Les processeurs se renouvellent rapidement, entraînant une compétition d’agilité technologique. L’automobile, l’aéronautique, la santé et la défense multiplient les investissements pour sécuriser leurs propres capacités locales de calcul. PwC estime que le marché des semiconducteurs automobiles passera de 76 à 117 milliards de dollars entre 2023 et 2028.

Cette recomposition place la conception au même niveau que la fabrication. La valeur se concentre désormais dans la maîtrise des architectures, du firmware et des chaînes logicielles associées. L’intégration verticale devient la norme. Les partenariats entre concepteurs de puces, éditeurs de logiciels et fournisseurs de services cloud se multiplient. L’intelligence artificielle impose ainsi un nouveau paradigme fondé sur un silicium capable d’apprendre, de s’adapter et de coopérer avec les couches logicielles.

Une recomposition industrielle à l’échelle mondiale

Pour PwC, la relocalisation des capacités de production apparaît comme une réponse directe aux crises d’approvisionnement récentes. Les États-Unis, le Japon, la Corée et l’Europe multiplient les projets d’usines subventionnées afin de réduire leur dépendance à l’Asie. Mais cette course à la capacité soulève le risque d’un déséquilibre entre offre et demande. La coordination internationale reste indispensable pour éviter les effets de surproduction. La question de la résilience ne concerne plus seulement la production mais aussi la disponibilité des matériaux, la compétence des ingénieurs et la continuité logistique.

Le rapport met également en avant la dimension environnementale. Les procédés de gravure de nouvelle génération exigent une énergie considérable. L’industrie cherche à concilier performance, rendement et sobriété. Les matériaux à large bande interdite, comme le carbure de silicium ou le nitrure de gallium, ouvrent la voie à une électronique plus efficiente. Cette recherche d’équilibre transforme la microélectronique en levier de transition énergétique autant qu’en instrument de puissance technologique.

L’Europe à la recherche d’un modèle durable de souveraineté

Le continent européen conserve un rôle solide dans les équipements, les capteurs et les semiconducteurs automobiles mais reste en retrait sur les nœuds de gravure les plus avancés. Les initiatives IPCEI et le Chips Act européen visent à combler ce décalage, sans parvenir encore à créer une dynamique unifiée. La fragmentation des marchés et la pénurie de talents freinent la montée en puissance. L’enjeu, pour l’Europe, consiste à construire une chaîne complète, du design au conditionnement, soutenue par une stratégie industrielle de long terme.

La France dispose d’atouts dans la recherche et la micro-fabrication, à travers STMicroelectronics, Soitec ou le CEA-Leti. Ces forces gagneraient à être mieux intégrées dans des alliances européennes structurées. Les partenariats avec des acteurs étrangers restent utiles, mais ils ne remplacent pas la maîtrise locale des procédés critiques. La souveraineté électronique européenne dépendra de sa capacité à produire et à concevoir les puces nécessaires à ses propres infrastructures et à ses ambitions industrielles.

Le silicium, socle de la nouvelle économie cognitive

Les semiconducteurs ne sont plus une simple industrie de composants. Ils deviennent la base matérielle de la puissance numérique. L’intelligence artificielle agit comme catalyseur en stimulant la demande pour des circuits spécialisés et en incitant les États à revoir leurs priorités stratégiques. À mesure que les modèles IA gagnent en taille et en complexité, la performance du silicium devient une variable clé de compétitivité et de sécurité.

PwC prévoit une concentration des investissements sur les architectures hybrides et les technologies de mémoire avancée. Les entreprises qui parviendront à relier innovation, production et gouvernance tireront parti de cette mutation. La décennie qui s’ouvre devrait consacrer les acteurs capables de transformer l’intelligence artificielle en moteur durable de croissance industrielle et de souveraineté technologique.

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