Le cloud souverain français se muscle. Outscale, marque de Dassault Systèmes, officialise le lancement de son service Outscale Kubernetes as a Service (OKS), annoncé en avant-première en septembre dernier. Ce service géré s’inscrit dans une stratégie plus large mêlant souveraineté, interopérabilité et intelligence artificielle. OKS répond, avant toute autre considération, à un besoin croissant des équipes DevOps et SRE de disposer d’un Kubernetes géré, sécurisé, capable de s’intégrer dans une stratégie multicloud hybride tout en respectant les obligations de gouvernance des données.
Dans un contexte mondial fragmenté et antagoniste, Outscale structure également, et progressivement, une offre souveraine, centrée sur son infrastructure cloud, l’orchestration par conteneurs, et une vision alignée avec les standards européens en matière d’éthique et de conformité. Le tout s’inscrit dans une logique de différenciation par la conformité réglementaire, la confiance, et la qualité de service, en opposition au modèle des fournisseurs internationaux. Entretien avec David Chassan, directeur de la stratégie chez Outscale.
IT Social — Vous lancez officiellement OKS. Quelle est l’ambition de cette offre ?
David Chassan — L’objectif d’OKS est de proposer un service Kubernetes managé, sécurisé et souverain, déployé de manière dédiée par client, sur notre infrastructure cloud qualifiée SecNumCloud. Kubernetes est devenu le standard d’usage dans le cloud, et nous avons voulu répondre à cette demande avec une solution qui garantit un cloisonnement réel des données, une haute disponibilité, et une compatibilité avec les exigences de souveraineté.
De plus, le contexte géopolitique et réglementaire a fortement évolué depuis notre préannonce en septembre. Entre le retour de certaines figures politiques aux États-Unis et les signaux de fragmentation mondiale, la souveraineté numérique est plus que jamais un impératif. Chez Outscale, c’est dans notre ADN depuis 2010 : protéger les données et la propriété intellectuelle de nos clients. Ce lancement s’inscrit dans la continuité.
Qu’est-ce qui différencie OKS des autres offres comme EKS, AKS ou GKE ?
Le point clé, c’est le déploiement
dédié par client. Contrairement aux offres mutualisées des hyperscalers, chaque client dispose de son propre cluster Kubernetes et de son control plane isolé, sur un cloud qualifié SecNumCloud. Cela permet de combiner sécurité, conformité réglementaire et élasticité propre au cloud public. À titre d’exemple, nos clients peuvent déployer jusqu’à 500 nœuds en quelques minutes, sans perdre la main sur la souveraineté.
Kubernetes est-il pour vous un outil stratégique au-delà du service ?
Absolument. OKS est une brique fondamentale de notre stratégie produit. Nous avançons dans une logique de
Cloud Infrastructure and Platform Services (CIPS), selon la nomenclature du Gartner. Nous construisons une pile intégrée allant du calcul au stockage en passant par les services applicatifs, comme Kubernetes et, plus récemment, LLM as a Service. Cela permet à nos clients d’évoluer dans un environnement cohérent et interopérable.
Justement, parlez-nous de LLM as a Service. Comment cela s’inscrit-il dans votre feuille de route ?
Dans le cadre de notre partenariat avec Mistral, nous proposons désormais des modèles de langage premium en environnement cloisonné. Chaque client dispose de son propre modèle, entraîné et exécuté sur des ressources isolées, ce qui garantit la confidentialité des données injectées, traitées et générées. Cela s’inscrit dans une approche de long terme, autour de la
générative économie : créer des mondes virtuels pour simuler, tester, et itérer avant de déployer dans le monde réel.
Quels sont les segments de marché que vous visez en priorité avec OKS ?
Nous nous adressons en priorité aux secteurs fortement réglementés : défense, finance, santé, énergie, transports, secteur public… Ces acteurs, qualifiés OIV ou OSE par l’ANSSI, ont besoin d’un cloud souverain pour respecter les cadres juridiques existants comme la loi de programmation militaire, le Cyber Resilience Act, ou encore DORA et NIS2. Cela dit, au-delà des obligations, nous encourageons aussi les entreprises à exercer leur propre responsabilité numérique.
OKS pourrait-il devenir un point d’entrée stratégique pour attirer les éditeurs de logiciels SaaS européens ?
C’est l’une de nos ambitions. Grâce à la standardisation autour de Kubernetes, un éditeur peut réutiliser les déploiements existants réalisés sur d’autres clouds pour les porter sur OKS et adresser des clients plus exigeants en termes de sécurité. Certains comme Interstis (la plateforme collaborative, [NDLR]) ont déjà adopté la version bêta. Nous discutons également avec d’autres partenaires pour élargir notre écosystème.
Comment imaginez-vous le cloud souverain d’ici à 2026 ?
Il devra être interopérable, écoresponsable et intégré avec des capacités d’intelligence artificielle. La capacité pour le client à piloter son impact environnemental deviendra aussi cruciale que la sécurité. En parallèle, l’adoption du modèle
as a Service va s’intensifier : automatisation, simplicité d’usage, mises à jour sans interruption… c’est tout l’enjeu d’OKS. C’est aussi ce que nous portons avec Dassault Systèmes : simplifier la complexité, pour innover et renforcer la compétitivité.
Et à plus long terme ?
Nous entrons dans une nouvelle ère où l’IA générative, les mondes virtuels et les outils applicatifs convergent. Le
worker virtuel, cet assistant personnel capable d’agir et de décider selon les règles de l’entreprise, deviendra une réalité. Il ne s’agit pas d’exécution mécanique, mais d’augmenter les capacités humaines. Le jumeau numérique d’une organisation, c’est aussi cela : un environnement cohérent où données, IA et outils métiers interagissent de façon fluide.
Quel regard portez-vous sur les relations entre l’Europe et les États-Unis dans ce contexte technologique ?
Nous ne croyons pas à l’autarcie technologique. L’Europe est le premier marché mondial du numérique. Nous avons nos propres champions comme Dassault Systèmes, SAP ou Mistral. Pour autant, il est indispensable de pouvoir faire des choix éclairés. Les décideurs informatiques doivent exercer leur libre arbitre, en distinguant les données sensibles des autres. Et cela, ce n’est pas uniquement une affaire de réglementation, c’est une question de responsabilité.