Les Britanniques ont choisi, par une faible majorité, de quitter l’Europe. Je vous propose de nous livrer au délicat exercice de la prospective sur les conséquences du Brexit sur les IT, nos entreprises, la relation client, les startups, la sécurité, la recherche, etc.
Le choc… La presse comme les politiques se sont emparés du Brexit, avec pour la première une vision bien négative du départ de la Grande-Bretagne imposé par les urnes, et celle plus controversée des politiques, qui oscillent entre critique d’un Cameron, le Premier ministre britannique à la stratégie suicidaire, interrogation sur l’avenir de l’Europe, et volonté de certains de profiter du mouvement initié par les Britanniques.
Au-delà du concert orchestré par les médias - qui au final n’arrivent qu’à une conclusion, ce sera dur pour tout le monde ! - j’aimerais vous proposer ma vision des conséquences du Brexit. J’adopte le ‘je’ volontairement, car le sujet est sensible et mes conclusions d’observateur de l’actualité peuvent ne pas emporter l’adhésion. Vos commentaires seront à ce titre les bienvenus.
Le statut UK, les expatriés et les startups
Ma première réflexion sera de dédramatiser l’évènement. Évoquant le Brexit, les commentateurs oublient pour la plupart d’entre eux, sauf à évoquer l’histoire des rapports souvent tendus entre les îles britanniques et le continent, de rappeler l’importance du statut particulier qu’occupe la Grande-Bretagne au sein de l’Union européenne. Son départ, pour traumatisant qu’il puisse être, demeure un demi-séisme. Et probablement, les tenants du Brexit ne l’ont certainement pas mesuré, une chance pour l’Europe de resserrer les liens entre ses États membres, alors qu’elle est empreinte de multiples difficultés, et que la voix britannique était souvent dissonante. Cela à la condition que nos dirigeants souhaitent vraiment agir dans ce sens, ce qui est moins sûr...
Ma seconde réflexion va vers les expatriés, quel que soit le sens migratoire. Qu’ils soient Européens vivant en Grande-Bretagne, ou Britanniques vivant en Europe, leur situation va se corser, avec la création de barrières économiques. Nous n’échapperons probablement ni au retour des visas ni à la taxation sur les importations européennes qui représentera un apport compensatoire dans les caisses britanniques.
Les startups figureront également parmi les ‘victimes’ du Brexit. L’inquiétude est réelle dans ce milieu, et s’exprime dramatiquement depuis le vote. Les secteurs technologiques attirés par Londres (FinTech, logiciels, e-commerce, communications) se pensaient immunisés contre les aléas politiques, ils se sont réveillés avec la gueule de bois doublée d’une très forte dose d’incertitudes. La chute de l’investissement dans ces domaines risque d’être catastrophique. Élever des barrières frontalières dans des domaines technologiques qui ont la particularité d’être transfrontaliers, lever des fonds européens alors que votre siège est hors des frontières de l’Europe, se tourner vers l’Europe ou chercher à lever des fonds américains ou asiatiques, les interrogations sont nombreuses, et les réponses risquent de tarder… Mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose pour nos startups au moment où le vent souffle en faveur des jeunes pousses européennes, et françaises en particulier, à la condition que tout le monde joue le jeu, celui de l’économie européenne plutôt que de chercher à tout prix à raccrocher les wagons de l’économie britannique.
Le grand frère américain
Ce qui me gène le plus dans les commentaires de la presse, des politiques, des économistes et des analystes, c’est l’absence d’intégration de la brique américaine dans leurs analyses. Pourtant, et c’est une des raisons pour lesquelles elle occupe un statut particulier dans l’Europe, la Grande-Bretagne a toujours hésité entre ses racines européennes et le grand frère américain, conservant un pied sur chacun des territoires. Un positionnement ambigu qui fait des îles britanniques une avancée américaine en territoire européen, avec l’appui anglais sur les directives et pratiques américaines, jusque dans les conflits armés, ou encore une aide aux dérives paranoïaques comme le relais des surveillances massives de la NSA, voir l’intervention des services britanniques pour suppléer aux espions américains.
Un détail suffit à mesurer l’ambiguïté de cette relation, alors que le monde et les places boursières s’enflamment pour l’évènement, l’administration Obama est restée bien en retrait, se contentant de commentaires d’usage dans l’air du temps. Les États-Unis ont pourtant une carte à jouer avec le Brexit, celle du grand frère qui sera d’ailleurs probablement sollicité par les nouveaux maîtres de la Grande-Bretagne pour limiter la crise. Condamné à revoir la législation britannique trop empreinte des réglementations de Bruxelles, le fond des futures lois britanniques reproduira certainement une partie du modèle américain.
Cela simplifiera certainement l’implantation des entreprises américaines en Grande-Bretagne. Mais elles se verront condamnées à jouer le grand écart, car il leur sera désormais plus difficile de faire de Londres leur base de conquête de l’Europe. Nonobstant ce phénomène, la relation Grande-Bretagne et États-Unis pourrait se renforcer, et chercher à compenser la perte qu’entraîne le retrait de l’Europe. Par contre, ce probable rapprochement risque de créer une distorsion dans les normes, réglementations, pratiques et usages, entre les États-Unis et l’Europe, les entreprises américaines pouvant être tentées de limiter leur implantation au plus simple pour elles.
Ce qui également vient rappeler que l’une des plus grosses problématiques économiques du Brexit portera probablement sur les entreprises à implantations multiples, et surtout aux programmes industriels européens, en particulier dans l’aéronautique, le militaire et la recherche. La souplesse des frontières intra-européennes a quand même ses avantages, comme le souligne la réussite d’Airbus. Quid des entreprises britanniques qui font partie de ce programme ?
Et pour nos entreprises ? Il est temps de renforcer la relation client...
Pour beaucoup d’observateurs, le principal perdant du Brexit sera la Grande-Bretagne. Les incertitudes à court terme, la parité désastreuse de la Livre, et toutes les conséquences non anticipées imposées par le nouveau modèle indépendant pourraient inciter les entreprises britanniques, comme européennes présentes au Royaume-Uni, à réduire leurs dépenses, et surtout à limiter leurs projets d’innovation. Il faudra prendre en compte deux phénomènes : les talents IT vont migrer hors de Grande-Bretagne, et les ressources à consacrer au passage des frontières, de l’administration aux taxes associées, et un fort risque d’ostracisme de l’économie britannique, vont peser sur la livraison de l’innovation et des nouvelles solutions destinées à la relation client.
Autre domaine fortement impacté à terme par Brexit, la sécurité, avec la protection et la confidentialité des données. Le droit européen applicable en Grande-Bretagne donnait l’illusion d’une égalité des gouvernances dans les pays de l’Union. Qu’en sera-t-il des nouvelles réglementations ? Et qu’elle sera l’influence des États-Unis sur les futures règles applicables sur le territoire britannique ? Entre l’automatisation, le cloud, mais également le financement des prochains programmes, la question de la sécurité des informations des clients pourrait bien se poser.
Et que dire de la recherche ?
Les scientifiques britanniques ne voulaient pas du Brexit, et on les comprend, d’un quart à la moitié des budgets de recherche universitaire en Grande-Bretagne proviennent de l’Europe ! Un premier calcul estime que la perte de financement des sciences serait de l’ordre de 1 milliard de Livres. Rappelons qu’entre 2007 et 2013, la Grande-Bretagne a été le premier pays européen à bénéficier des financements de l’Union européenne pour la recherche, devant l’Allemagne, pour 5,4 milliards de Livres. Les 16 universités britanniques y ont puisé la moitié de leurs budgets de recherche !
Le mal prendra du temps à se distiller, beaucoup de programmes de recherche sont pluriannuels, mais vont finir par se tarir. Au profit des universités et des entreprises européennes, certes, mais avec la perte de fortes compétences anglaises dans de nombreux domaines. Et la moitié des publications scientifiques de Grande-Bretagne sont co-écrites par des scientifiques internationaux, principalement européens. La montée du nationalisme et le risque de récession de l‘économie pourraient bien se traduire par une fuite des cerveaux. Surtout que la Grande-Bretagne pratique majoritairement les contrats à court terme pour ses jeunes scientifiques. Une partie d’entre eux pourrait bien, une fois encore, être attirée par le mirage américain !
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