Quelle est la stratégie de Microsoft sur sa tablette Surface ? Son modèle économique est simple : plus l'éditeur en vend, et plus il perd de l'argent... Et si Surface n'était pour Microsoft qu'un épiphénomène de la stratégie d'enfermement de son écosystème ?

Parlons tablettes : il y a les tablettes Apple, l'iPad avec son système d'exploitation IOS ; il y a les tablettes Android, sous l'OS de Google ; il y a les tablettes dérivées du PC sous OS Windows 8.1 qui commencent à se déverser sur le marché ; et il y a la tablette Surface de Microsoft. Qu'elle différence sépare les premières de la dernière ? Elles gagnent de l'argent, mais pas la Surface !

Pour son troisième trimestre fiscal, clos le 31 mars, la Surface a permis à Microsoft d'engranger un chiffre d'affaires de 494 millions de dollars. Mais pour cela, l'éditeur a dû débourser 539 millions de dollars, 'charges de commercialisation' dixit la déclaration de Microsoft à la SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme de la bourse américaine.

Plus Microsoft vend et plus il perd de l'argent !

Le phénomène n'est pas nouveau, au cours des 9 premiers mois de l'exercice en cours, les revenus de Surface ont été de 1,8 milliard de dollars, et les dépenses de 2,1 milliards. En janvier dernier, Microsoft indiquait que les pertes engendrées par Surface avaient pour origine « un plus grand nombre d'unités vendues ». Une théorie économique largement répandue affirme pourtant que ce devrait être l'inverse... Et pourtant depuis son origine Microsoft perd de l'argent avec Surface !

Et c'est bien là qu'est le paradoxe. Même dans son discours Microsoft confirme que plus il vend des tablettes Surface et plus il perd de l'argent ! Le résultat est que la division Devices and Consumer Hardware de Microsoft continue année après année de perdre de l'argent. Et ce n'est pas la console Xbox, l'autre gros morceau de cette division, qui va changer la donne.

Il y a au moins une chose que l'on peut reconnaitre à Microsoft, c'est son entêtement ! Certes, les cas d'entreprises qui entretiennent une danseuse ne sont pas rares, mais il faut en avoir les moyens. Et en la matière Microsoft a les moyens de se lancer sur un marché complexe, celui de la fabrication et de la commercialisation de tablettes, qu'il ne maitrise pas, avec des coûts fixes incompressibles qui lui font perdre de l'argent.

Une Surface 8 pouces, une rumeur et des accessoires

Le lancement proche d'une tablette Surface 8 pouces va-t-il inverser la courbe déficitaire dans laquelle Microsoft s'est engagé ? Il s'agit d'une rumeur. Mais on peut trouver sur Amazon les premiers accessoires qui l'accompagnent, en particulier une sacoche pour l'emballer. Etonnant pour un produit qui n'existe pas !

Il existe une clientèle pour des tablettes de taille plus réduite. Le succès de l'iPad Mini et des tablettes Android 7 et 8 pouces vient le confirmer. Mais dans le même temps Microsoft se coupe lui-même l'herbe sous le pied en annonçant la gratuité de Windows sur les devices dont la taille de l'écran est inférieure à 8 pouces. Les fabricants OEM de tablettes Windows ont également à l'oeil les pratiques tarifaires de l'éditeur sur Surface, au point que l'éditeur a du s'engager à ne pas profiter de sa position exclusive sur sa tablette. La marge de manoeuvre de Microsoft est donc des plus réduites.

Les danseuses de Steve Ballmer

L'ère Bill Gates, le fondateur de Microsoft, aura été marquée par l'explosion du système d'exploitation Windows, puis de la suite bureautique Office, et enfin de Windows Server, c'est à dire du poste de travail au serveur dans l'entreprise, qui ont fait sa fortune. L'ère Steve Ballmer aura été celle des danseuses grand public. Le successeur de Bill Gates n'a cessé de tenter de chercher à transformer le géant du logiciel pour professionnels en une entreprise tournée vers le consommateur grand public.

Qu'il s'agisse du jeu vidéo avec Xbox, de la téléphonie avec Windows Phone, de la télévision avec diverses tentatives d'intrusion, de l'internet avec Bing, éternel petit (en parts de marché) challenger de Google, ou encore de Surface, ces tentatives de changer le modèle de Microsoft ont presque toutes échouées. Seule la puissance financière et sa trésorerie – merci le pro Windows et Office ! - ont permis d'entretenir les danseuses...

Satya Nadella va-t-il changer de stratégie ?

Lorsqu'il s'est présenté devant Wall Street, après des mois de brouillard quant à la nomination du successeur de Steve Ballmer, le nouveau CEO Satya Nadella enfin nommé a déclaré qu'une nouvelle ère allait commencer. 22 années de Microsoft, dont une partie à la tête de la division serveurs et outils, pourraient laisser présager d'un retour de l'éditeur sur les rails dessinés à son origine.

Seulement voilà, le nouveau patron a également déclaré « nous sommes bien sur notre voie ». Son objectif est d'aller au bout de la vision d'un monde « mobile-first, cloud-first ». Les devices y ont leur place, Surface aussi ?

Alimenter un écosystème fermé

Quels sont les enseignements à tirer de l'expérience Surface, qui pourrait bien devenir un cas d'école ? La stratégie de Microsoft est finalement simple : elle consiste à enrichir son écosystème de tout ce qui lui permet de consommer du Microsoft, sans aller voir ailleurs. Nous pensons que c'est plutôt sous cet angle qu'il faut faut analyser la stratégie de l'éditeur. Un marché émerge – le jeu vidéo, le smartphone, l'ERP, l'analytique, le cloud, les tablettes – Microsoft dispose des moyens pour posséder ses propres produits afin de réduire la marge de manoeuvre des autres acteurs du marché sur son écosystème !

Microsoft l'alimente donc de ses propres produits, et veille à ce que ses partenaires aillent dans cette direction. Peut importe que Surface perde de l'argent, l'éditeur maintient le cap... et les clients finiront par y passer ! Le paradoxe Microsoft Surface n'est finalement qu'un épiphénomène de la stratégie rouleau compresseur de l'éditeur. Car à force d'imposer sa vision, elle finit par devenir un standard... de fait. Et peu importe le temps que cela prendra !