C'est un phénomène naturel, tout ce qui monte redescend ! Tout l'art du manager est de réduire la vitesse de la chute… en s'appuyant parfois sur des vents ascendants ! Ou quand rien ne va plus chez les utilisateurs, Microsoft sort son portefeuille à défaut de la baguette magique disruptive, qu'il a depuis longtemps perdue !

Microsoft vient de s'offrir l'application Wonderlist - une 'to-do list' en ligne qui affiche 13 millions d'utilisateurs dont 50.000 entreprises – pour la somme de 200 millions de dollars. Une belle opération pour la start-up et son principal investisseur, Sequoia Capital, qui soutient également Dropbox (qui prépare son IPO) et Evernote. Wonderlist avait levé 24 millions de dollars, dont 18 millions chez Sequoia Capital.

Une acquisition judicieuse et disruptive

Wonderlist est un acteur de référence de l'économie des applications qui est une tendance forte aujourd'hui. Son application de liste de tâches éventuellement partagées est disponible gratuitement dans sa version de base (freemium), et elle le restera, et payante pour un usage professionnel, de 4,99 $ par utilisateur et par mois à 49,99 $ par utilisateur et par an.

L'application profite d'une très bonne réputation, celle d'être l'une des meilleures 'to-do-list'. Elle séduit tout autant les utilisateurs individuels que les entreprises, avec quelques clients prestigieux comme Coca-Cola, Google, IBM ou PayPal. Mais est-ce suffisant pour séduire Microsoft, qui par ailleurs possède également un outil séduisant (on ne le dira jamais assez!) de prise de notes et de listes de tâches, OneNote. On reprochera peut-être à ce dernier d'être moins facile à partager sur une infrastructure d'entreprise, alors que Wonderlist est disponible dans le cloud. Mais là n'est pas le plus important…

Plusieurs visions stratégiques s'offrent à nous. Décrivons les.

Des acquisitions pour limiter l'obsolescence

Lorsqu'il accède à la direction générale de Cisco, en 1995, John Chambers se lance dans une stratégie d'acquisitions dont l'objectif, de son propre avis, est d'éviter l'obsolescence. Il connaît bien son sujet, il vient du fabricant d'ordinateurs Wang qui vient de rater le virage du PC et va en crever… Durant son règne, auquel il vient juste de mettre fin, John Chambers a procédé à 174 acquisitions.

A l'opposé d'un Cisco, d'un Oracle ou d'un CA Technologies, qui se sont construits sur une approche de croissance externe, la stratégie de Microsoft a été de développer un maximum en interne, pour consolider sa stratégie de forteresse - qui consiste non pas à se protéger de l'extérieur mais à empêcher ce qui est à l'intérieur de sortir. Les acquisitions de l'éditeurs ont donc toujours été réalisées au compte goutte et de manière très stratégique. Avec le départ de Steve Ballmer, le successeur de Bill Gates à la tête de l'éditeur, cette stratégie s'est infléchie, et Microsoft achète… Nokia, Minecraft, et aujourd'hui Wonderlist, pour ne citer qu'elles.

Entrer dans la 'apps economy'

Microsoft doit également affronter un mal endémique : le manque d'applications phares dans son catalogue, en dehors des incontournables Windows et Office. Avec les nouveaux devices (appareils connectés), les utilisateurs recherchent des 'petites' applications qui rendent des services précis et suivent quotidiens. Accessibles généralement en mode freemium afin de pouvoir être testées à titre personnel, avant de devenir indispensables et de se négocier à un prix d'usage professionnel faible mais multiplié par des volumes énormes. Apple et Google (Android) l'ont bien compris avec leurs app-stores qui regorgent d'applications, majoritairement inutiles, mais avec parfois des pépites, comme Wonderlist.

Wonderlist est à ce titre emblématique de cette approche de l'appication qui séduit car elle rend des services. La solution est disponible sur les environnements majeurs : iPhone, iPad, Apple Watch, Mac, Android, Windows Phone et Windows. La politique de licences des éditeurs historiques n'a plus sa place dans ce modèle des apps. Microsoft l'a enfin compris et infléchit sa politique. Mais comme il ne peut rompre avec son modèle initial, qui est encore valide et assure la plus grande part de ses revenus, l'acquisition d'une solution app tierce qui a fait ses preuves s'imposait. Faisons le pari que d'autres suivront...

Compenser la faiblesse de l'innovation

Répétons-le, Wonderlist est emblématique de ce que demandent aujourd'hui des utilisateurs : des applications simples mais utiles, largement et facilement accessibles et partageables, et à un prix raisonnable. La culture de la monstrueuse application sous licence de l'écosystème Microsoft ne se prête pas à ce modèle. Et si Microsoft dispose des compétences et des ressources, en interne comme chez les développeurs externes, pour développer les applications du futur, la lourdeur culturelle et du système ne permet pas de compenser ses faiblesses en matière d'innovation.

Acquérir une technologie externe distribuée largement sous la forme d'une app moderne permet à Microsoft de compenser ses faiblesses. C'est certes moins glorieux que s'il avait pu la développer en interne, et c'est finalement avouer que malgré les compétences acquises avec des Outlook ou OneNote, par exemple, le petit, simple, sympa et facile n'est pas à la portée des développeurs de l'écosystème. Il n'est pas donné à tout le monde d'avoir la capacité de jouer la rupture, alors Microsoft préfère l'acquérir. Pourquoi pas, du moment qu'elle profite à l'utilisateur…