Alors que nous étions en interview avec Raphaël Ferreira, le CEO d'eNovance, celui-ci mettait la dernière main au rachat de sa société par Red Hat, pour 70 millions d'euros. Joli coup pour eNovance, qui a su se vendre à un prix étonnant pour une start-up sur laquelle pèse une partie de l'échec de Cloudwatt !


70 millions d'euros, 50 en cash et 20 en actions, Red Hat a mis le paquet pour s'offrir la start-up française eNovance, Ce n'est pas une surprise pour nous, nous avons plusieurs fois rencontré Raphaël Ferreira, le CEO et co-fondateur d'eNovance, qui nous a démontré son dynamisme et son opiniâtreté, même s'il mettait régulièrement ses talents au service de la défense de points de vues parfois contestables !

Ainsi en est-il de la participation d'eNovance au projet de cloud souverain Cloudwatt. Porté par Orange et Thalès, financé en grande partie par l'Etat français donc le contribuable, le versant technique du projet repose sur la construction 'from scratch' d'une plateforme de cloud basée sur OpenStack, et hébergée dans le dernier datacenter d'Orange. eNovance officiant en conseil et accompagnement technique et développement sur le projet.

Cloud what ?

Depuis sa création, voici presque 2 ans, nous attendons plus de Cloudwatt qu'une version bêta encore en ligne au moment où nous écrivons ces lignes, et une offre PME de stockage en ligne gratuit de 50Go ! Certes, les annonces de partenariats se multiplient, Cloudwatt en hébergeur public de projets de cloud hybride à la française. Selon Raphaël Ferreira, que nous avons interrogé (lire « eNovance et OpenStack, du mythe à la réalité »), Cloudwatt « entre en production à la fin de ce mois, et a déjà de nombreux clients ». Le discours n'a pas changé depuis la mise en production qui était annoncée pour septembre 2013 (!). Un retard inacceptable compte-tenu des fonds publics engaégs, et qui a coûté la tête du patron du projet, Patrick Starck... remplacé en avril dernier par Didier Renard, ancien président de Tasker. Depuis, Cloudwatt continue de chercher à recruter les rares compétences OpenStack en France afin de combler son retard.

Le contrat aura au moins permis à eNovance de financer ses ambitions communautaires et de placer la start-up à la tête du mouvement européen OpenStack... Où elle a appris, au prix fort pour Cloudwatt, à animer la communauté, un bonus pour l'acquéreur Red Hat !

La maturité OpenStack en question

La principale erreur de Cloudwatt a certainement été de chercher à construire une infrastructure entièrement nouvelle basée sur OpenStack, cherchant en cela à imiter l'infrastructure des géants américains du cloud, Amazon ou Google. C'était oublier que l'infrastructure existante de ces concurrents repose d'abord sur des solutions existantes, et que donc les projets OpenStack sont annexes, voire accessoires, et font plutôt figure de PoC (Proof of Concept). Quant à Patrick Starck, il n'a probablement pas su taper du point sur la table au moment opportun !

L'autre erreur est d'avoir misé sur une technologie qui au moment des faits n'avait rien de mature. Et qui aujourd'hui encore est très loin d'afficher la maturité de tous ses projets composites qui orbitent autour du cœur d'OpenStack - les modules Swift, Nova, Cinder, Neutron, etc. - les seuls à être à peu près stables et matures. Dans ces conditions, l'échec de Cloudwatt, ne nous a pas surpris !

Du focus des acteurs du marché sur OpenStack

Alors pourquoi OpenStack intéresse tant les acteurs du marché ? Quasi tous se sont focalisés sur OpenStack... en parallèle d'offres propriétaires qui ont fait leur preuve comme VMware vSphere ou Citrix CloudStack. Au moment où le cloud computing s'impose, et où le cloud hybride fait figure de modèle de demain, le projet open source fait figure de support universel car standard de fait. Adopter OpenStack fait figure d'approche ouverte, standard et économique des infrastructures de cloud, et ça les clients l'apprécient.

Les grands acteurs, pragmatiques, font également le choix d'intégrer les modules OpenStack qui marchent et qui sont arrivés à maturité, mais sans prendre le risque de tout baser sur l'environnement. Des briques OpenStack intégrées dans une architecture qui en réalité se révèle propriétaire, permettent de réduire les coûts. Et le client, qui pour le moment ne maitrise pas la technologie, n'y voit que du feu. L'affaire est entendue.

Alors pourquoi Red Hat s'est-il offert – très/trop cher ! - eNovance ?

L'échec de Cloudwatt ne semble pas avoir influencé le choix de Red Hat. Sauf que, comme par surprise, le cloud souverain Cloudwatt s'est relancé sur une base Red Hat ! Et le montant investi démontre que Raphaël Perreira et son équipe ont su se valoriser auprès de l'éditeur. Celui-ci s'offre donc un acteur reconnu, contributeur régulier, et chef de file du mouvement OpenStack auquel il adhère. Il n'est pas certain, cependant, qu'il ait recherché les compétences techniques d'eNovance, l'éditeur a déjà ses équipes, qui sont d'ailleurs bien avancées dans la connaissance du cloud open source.

Les sociétés de conseil indépendantes spécialisées dans le déploiement d'OpenStack sont en revanche plus rares, ce qui a dû peser dans la balance. Au moment où Red Hat tente de mettre en avant ses stacks de solutions OpenStack, qui s'inscrivent en relai de croissance cloud de l'éditeur, eNovance vient rejoindre l'offre de services du géant de l'open source, le service étant le modèle économique des communautés.

Et après ? eNovance collabore en particulier au développement des solutions de management du cloud et d'OpenStack. C'est un domaine stratégique, car il faut piloter le cloud. L'acquisition prend ici aussi du sens, mais certainement pas au prix fort ! En revanche, il n'est pas certain que la start-up puisse continuer de séduire les grands acteurs du marché en évoluant sous la bannière du chapeau rouge !

Peu importe, Raphaël Ferreira, Nicolas Marchal et Pierre Molin, les fondateurs d'eNovance, ont réussi leur coup et se sont bien vendus. Il était peu probable qu'un éditeur ou un intégrateur français ou européen casse sa tirelire pour s'offrir la start-up à prix d'or, surtout avec le boulet Cloudwatt. Nos trois compères pourront également arguer que les américains savent valoriser la culture de l'échec, un argument peu crédible dans nos contrées !

Au final, la seule question qui demeure : Cloudwatt survivra-t-il à ses erreurs ? C'est certes un autre débat, mais elle mérite d'être posée. Quant à eNovance, Red Hat a fait la fortune de ses fondateurs. Fin !