Le retour en force des préoccupations de souveraineté revigore l’écosystème européen : Suse franchit une étape stratégique en annonçant le lancement de
« Suse Sovereign Premium Support », un service d’assistance entièrement aligné sur les exigences de souveraineté numérique de l’Union européenne.


Avec cette annonce, l’éditeur open source d’origine allemande formalise une réponse structurée aux demandes croissantes d’indépendance numérique formulées par les entreprises européennes, notamment dans les secteurs sensibles. Le service repose sur une infrastructure de support ancrée dans l’Union européenne, des ingénieurs localisés et des engagements explicites en matière de confidentialité, de chiffrement et de traçabilité. Suse rejoint ainsi le mouvement engagé par d’autres fournisseurs technologiques européens, OVHcloud, Atos ou Scaleway, qui tentent de capter la demande institutionnelle et privée autour d’infrastructures souveraines, selon les critères européens.

Le service Suse Sovereign Premium Support vise en premier lieu les environnements critiques et réglementés, administrations, défense, opérateurs d’importance vitale, services financiers, en assurant un traitement localisé des incidents et un support proactif. Les équipes de support (PSE, SDM) sont exclusivement basées dans l’UE, et les données de tickets sont stockées sur des infrastructures situées dans l’espace européen. Cette orientation répond à une demande très concrète du marché. Selon IDC, plus de 80 % des organisations européennes utilisent ou prévoient d’utiliser des solutions de cloud souverain en 2025 (enquête IDC EMEA Cloud, septembre 2024).

Une dynamique portée par les tensions géopolitiques et les cycles de migration

Pour Suse, il s’agit aussi de valoriser ses racines européennes à l’heure où la question de la souveraineté des infrastructures revient au centre des stratégies numériques. « Cette offre s’inscrit dans la continuité de notre approche “open by design, sovereign by choice” », résume Dirk-Peter van Leeuwen, PDG de Suse. Dans un contexte d’incertitude stratégique, marqué par le durcissement des positions américaines et chinoises, Suse capitalise sur son profil d’éditeur européen indépendant, aujourd’hui détenu par le fonds
de pension suédois EQT.

Lors d’un entretien réalisé en mai dernier, Thomas Di Giacomo, CTO de Suse, confirmait que les considérations de souveraineté ne sont plus anecdotiques dans les appels d’offres. « Sur certains marchés, notamment dans la défense ou l’aérospatial, le fait d’être européen devient presque un critère binaire », souligne-t-il. Il observe également un ralentissement des décisions d’achat sur certains marchés extra-européens (États-Unis, Asie), contrebalancé par un regain d’intérêt pour des alternatives souveraines, notamment en Europe de l’Ouest.

Cette évolution coïncide également avec une transition technologique de fond : la remise en cause du modèle VMware, à la suite de son rachat par Broadcom, pousse de nombreuses entreprises à envisager des migrations vers d’autres solutions de virtualisation ou de conteneurisation. Suse s’appuie ici sur deux piliers : Linux avec KVM comme socle de virtualisation classique, et Rancher comme plateforme de gestion Kubernetes et de modernisation applicative. « Nous ne prétendons pas remplacer VMware à l’identique. Ce que nous proposons, ce sont des trajectoires de transformation réalistes, appuyées sur des cas d’usage existants, notamment avec KubeVirt », explique Thomas Di Giacomo.

Une stratégie de différenciation par l’ouverture, la flexibilité et l’approche partenaire

Suse revendique une approche fondée sur l’interopérabilité et l’indépendance vis-à-vis des architectures propriétaires. Contrairement à Red Hat et sa stratégie fortement intégrée autour d’OpenShift, Suse mise sur un écosystème modulaire. Rancher permet d’administrer des clusters Kubernetes hétérogènes, y compris ceux opérés sur AWS (EKS), Azure ou OVHcloud, sans imposer une pile technologique verrouillée. « Nous ne demandons pas aux clients d’adopter toutes nos briques. Nous nous adaptons à leur existant, ce qui fait la force de notre modèle », affirme le CTO.

Ce positionnement « flexible par conception » s’illustre également par la capacité de Suse Manager à gérer les mises à jour de sécurité et les configurations sur des distributions Linux tierces, ce qui représente un argument différenciant dans les environnements hybrides ou hérités. L’éditeur met également en avant ses capacités de support longue durée (jusqu’à 5 ans sur Kubernetes), sa contribution active au noyau Linux (n° 3 mondial selon Di Giacomo) et sa capacité à proposer des chaînes de confiance de bout en bout, y compris pour des déploiements sensibles dans les secteurs de la défense
ou de l’industrie embarquée.

Une alliance stratégique avec OVHcloud pour cibler les PME

En parallèle de ce mouvement vers le haut du marché, Suse renforce ses partenariats avec des fournisseurs européens de services cloud pour toucher des entreprises de taille moyenne. L’accord signé avec OVHcloud illustre cette stratégie. « OVHcloud est à la fois client et revendeur. Il propose désormais une offre managée Rancher intégrée à sa place de marché », précise Thomas Di Giacomo. L’objectif est de fournir une alternative souveraine à AWS pour les PME sans expertise Kubernetes, sur un mode « as-a-service » packagé, y compris pour des applications critiques.

En lançant ce nouveau service, Suse se positionne comme un acteur européen crédible sur le marché très disputé de la souveraineté numérique, aux côtés de Thales, Atos ou OVHcloud, mais avec une posture orientée logiciel, interopérabilité et support globalisé. Si le discours reste mesuré sur la montée en puissance des offres cloud souverain, l’éditeur identifie des signaux clairs de basculement dans les intentions d’achat, notamment dans les secteurs régulés et dans les projets de transformation post-VMware. « La vraie difficulté, ce n’est pas la technologie, c’est d’accompagner les transitions avec des trajectoires lisibles, en tenant compte des contraintes métiers. C’est là que Suse peut faire la différence », conclut Thomas Di Giacomo.