La question de la souveraineté numérique, longtemps reléguée à l’arrière-plan des priorités économiques, connaît depuis deux ans un retour en force dans les agendas politiques et stratégiques des entreprises européennes. le lancement de l’Indice de Résilience Numérique (IRN) marque une étape structurante pour doter les entreprises et les institutions d’un référentiel commun afin d’évaluer et de piloter leur autonomie technologique.

Sous l’effet cumulé de tensions géopolitiques accrues, de dépendances technologiques structurelles et d’un durcissement réglementaire sans précédent, les organisations sont confrontées à une exigence nouvelle : mesurer et maîtriser leur exposition numérique, non plus seulement en termes de cybersécurité, mais dans toutes ses dimensions, infrastructure, logiciels, humains et contrats. L’entrée en vigueur de la directive NIS2, la généralisation des clauses de localisation des données, ou encore l’encadrement renforcé de l’extraterritorialité des fournisseurs critiques réorientent profondément la manière dont les entreprises doivent aborder leur souveraineté technologique.

Dans ce contexte, la résilience numérique ne peut plus être réduite à un simple exercice de conformité. Elle devient un levier stratégique de gouvernance, de gestion des risques et de compétitivité. Encore faut-il disposer des instruments adaptés pour objectiver les vulnérabilités, comparer les situations et piloter les trajectoires. C’est précisément à cette nécessité que vient répondre le lancement de l’Indice de Résilience Numérique (IRN), une initiative inédite qui entend fournir aux entreprises une boussole pour structurer leur autonomie numérique dans un environnement de plus en plus contraint et interdépendant. Une initiative qui renforce la dynamique de reconquête actuellement à l’œuvre, en proposant un instrument de mesure activable dès 2026.

Un référentiel stratégique à visée européenne

Porté par un collectif d’acteurs publics et privés, dont Ascend Partners, Probabl et le think tank Digital New Deal, l’IRN repose sur un double constat : l’Europe souffre d’une dépendance technologique massive, chiffrée à 265 milliards d’euros par le Cigref, et les entreprises manquent d’outils pour piloter leur résilience numérique. L’objectif affiché est donc de remettre la maîtrise des systèmes d’information au cœur des stratégies économiques et industrielles.

Conçu comme un outil à la fois macroéconomique et organisationnel, l’IRN s’articule autour de huit critères, combinant des mesures quantitatives (géographie des fournisseurs, ouverture des technologies, diversification des acteurs, géolocalisation des données) et qualitatives (culture managériale du risque, gouvernance, compétences internes, anticipation des crises). Il sera adossé à un Baromètre de Souveraineté Numérique (BSN), chargé de cartographier les vulnérabilités par secteur et d’alimenter les travaux de l’Observatoire de la souveraineté numérique, lancé par la ministre Clara Chappaz
en avril 2025.

Une réponse au besoin croissant de conformité et de pilotage des risques

Au-delà de la seule ambition politique, la mise en œuvre de l’IRN répond à une attente pressante des entreprises : disposer de cadres d’évaluation objectifs pour documenter leur conformité, identifier les angles morts de leur chaîne numérique, anticiper les chocs et renforcer leur indépendance technologique. Dans un contexte marqué par le durcissement des régulations (NIS2, DORA, Cyber Resilience Act) et par la montée en puissance des risques géopolitiques, l’IRN est un outil de pilotage au service de la gestion des risques cyber, contractuels et opérationnels.

Les pionniers engagés dans la phase pilote (RTE, Docaposte, Orange, Ouest-France, MAIF, SNCF, Groupe ADP…) incarnent des secteurs critiques pour la souveraineté nationale. Leur engagement a pour but de mettre sur pied une méthodologie robuste, capable de s’adapter aux spécificités sectorielles, mais également à entraîner le reste du marché dans une dynamique collective. En cela, l’IRN se positionne à la croisée de la régulation, de l’innovation et de la planification industrielle.

Une démarche structurante pour la souveraineté technologique

Le lancement de cet indice peut être interprété comme une tentative de structuration d’un « commun stratégique » autour de la souveraineté numérique, qui repose non plus uniquement sur des injonctions politiques, mais sur des instruments concrets d’analyse, d’auto-diagnostic et de comparaison sectorielle. Il s’agit, selon ses initiateurs, de passer d’un discours de dénonciation des dépendances à une logique d’action outillée.

Ce changement de paradigme rejoint un mouvement plus large observé ces derniers mois, où la souveraineté cesse d’être un slogan pour devenir une grille de lecture transverse : choix des fournisseurs, architecture logicielle, stockage et gouvernance des données, structuration des compétences, capacité à encaisser un choc technologique. C’est cette multidimensionnalité que l’IRN ambitionne de capturer et de traduire en trajectoires concrètes pour les entreprises.

Vers un standard européen de mesure de l’autonomie numérique ?

En faisant de l’IRN un outil ouvert, destiné à être diffusé à l’échelle européenne, ses concepteurs entendent poser les bases d’un futur standard continental. Cette logique d’internalisation et de mutualisation de la mesure rejoint celle d’initiatives telles que Gaia-X, l’European Cloud Rulebook ou encore le schéma de certification européenne des services cloud. L’IRN s’insère donc dans une cartographie de réponses européennes à l’hégémonie technologique américaine et chinoise, en cherchant à redéfinir les conditions d’une autonomie stratégique réelle.

La déclaration de Clara Chappaz selon laquelle « la France montre la voie » peut ainsi être lue comme un appel à une réappropriation collective du destin technologique européen, où l’objectivation des dépendances devient le point de départ d’une stratégie
industrielle souveraine.