Lors du Sommet Raise Paris 2025, la session « Code, Copy, Conquer: How AI Agents Redefine Enterprise » a réuni plusieurs dirigeants technologiques pour dresser un état des lieux sans fard des usages réels des agents IA dans les entreprises. Entre fantasmes d’autonomie et réalités organisationnelles, les experts ont dessiné les contours d’un avenir où agents et humains devront apprendre à coopérer intelligemment.

Organisé à Paris, le Sommet Raise 2025 s’impose comme l’un des rendez-vous européens majeurs autour de l’intelligence artificielle, des technologies émergentes et de leur impact sur les entreprises. L’événement réunit fondateurs, décideurs technologiques, investisseurs et stratèges pour débattre de l’avenir de l’automatisation, de la donnée et des usages de l’IA générative dans l’économie réelle.

Parmi les temps forts de cette édition, la session intitulée « Code, Copy, Conquer: How AI Agents Redefine Enterprise » a rassemblé cinq intervenants de premier plan : Adrian McDermott, directeur technique (CTO) de Zendesk, Sara Maldon, responsable mondiale de l’IA et de l’automatisation des processus métier chez Make, Jan Bungert, directeur général des activités Business Data Cloud et Business AI chez SAP, Betty Junod, directrice marketing et vice-présidente senior chez Heroku (Salesforce), et Axel De Goursac, responsable de l’offre IA chez KPMG France. La session était animée par Karen Kwok, journaliste spécialisée en technologie chez Reuters.

De la démo séduisante au ROI mesurable : un cap à franchir

Sara Maldon (Make) a rappelé d’emblée la distinction entre assistants automatisés, processus RPA et véritables agents IA. Ces derniers se définissent selon elle par trois ingrédients fondamentaux : une composante cognitive (modèle de langage), une mémoire ou un contexte, et des outils permettant l’action autonome (prise de rendez-vous, rédaction d’emails, gestion de tickets, etc.). Ce qui les distingue, c’est leur capacité à atteindre un objectif défini, sans instruction intermédiaire.

Mais comme l’a souligné Adrian McDermott (Zendesk), « le chemin vers l’autonomie totale est une montée en risque progressive » : de la recherche documentaire au copilotage d’interactions, en passant par la lecture intégrale de conversations clients, chaque étape implique des exigences accrues en matière d’intégration, de supervision humaine et de confiance. Le vrai défi, selon lui, est de faire face à l’explosion du volume d’interactions générées par les clients eux-mêmes, de plus en plus équipés de leurs propres agents conversationnels.

Des cas concrets, mais encore largement pilotes

Jan Bungert (SAP) a partagé un exemple emblématique : chez un grand client industriel allemand, un unique agent IA a remplacé plus de 300 flux de travail manuel. L’agent, configuré en low code, orchestre les parcours de décision en autonomie à partir des informations disponibles. « Ce n’est plus une promesse. Cela fonctionne déjà », insiste-t-il. Toutefois, la majorité des projets restent encore cantonnés à des cas pilotes (POC), difficilement généralisables à l’échelle d’un groupe, notamment en raison de la fragmentation des systèmes et de l’hétérogénéité des données.

Cette difficulté à passer du prototype à l’industrialisation se reflète dans les données de S&P Global : en 2024, 42 % des projets IA d’entreprise ont été abandonnés, contre 17 % l’année précédente. Le manque d’infrastructures unifiées, l’absence de documentation des processus, ou encore l’héritage applicatif freinent les déploiements à grande échelle.

Vers une transformation conjointe des outils et des métiers

Pour Betty Junod (Salesforce/Heroku), le frein principal n’est pas technologique, mais humain et organisationnel. « L’introduction d’un agent IA, ce n’est pas seulement automatiser un processus : c’est repenser la manière dont le travail est effectué. Cela implique les directions fonctionnelles, les équipes opérationnelles, les RH. » Même constat chez Axel De Goursac (KPMG), qui insiste sur la nécessité de réassurer les collaborateurs : « L’IA ne remplace pas ce qui fait notre humanité. Elle libère du temps pour se recentrer sur l’écoute, la relation client, la stratégie. »

Face aux craintes de remplacement, les intervenants ont préféré parler de recomposition : dans le service client, l’agent IA traite les demandes simples, laissant aux conseillers la gestion des cas complexes. Dans le développement logiciel, les assistants de codage multiplient la productivité, mais exigent toujours une relecture humaine. Dans la finance, l’exemple de l’automatisation du KYC (Know Your Customer) illustre comment plusieurs agents peuvent se coordonner pour collecter, vérifier, scorer et restituer des données au service d’un décideur humain.

Perspectives : des agents partout, mais pas pour tout

Adrian McDermott parle d’un moment charnière : après 15 ans de transformation numérique vers le cloud, débute l’ère de la transformation IA. Mais cette fois, il ne s’agit pas uniquement de technologies : les entreprises doivent aussi inventer de nouveaux rôles (architectes d’agents IA, superviseurs d’automatisation…), structurer des équipes pluridisciplinaires, et développer des méthodologies encore balbutiantes.

La convergence entre monde physique et systèmes intelligents commence aussi à s’opérer. Jan Bungert évoque une expérimentation dans une chaîne logistique où des agents coordonnent seuls l’ensemble d’un entrepôt automatisé, en lien avec des capteurs et des systèmes robotiques.

À la question de savoir où les agents IA auront le plus d’impact demain, les réponses convergent vers trois domaines prioritaires : le développement logiciel, le support client, et les fonctions back-office (RH, finance, opérations). Le marketing et la vente suivent de près, notamment avec des agents capables de coacher les forces commerciales ou d’accélérer l’onboarding. La R&D n’est pas en reste, avec des assistants scientifiques capables de générer, relire et formater des documents techniques ou réglementaires.

En définitive, comme l’a résumé Sarah Maldon : « Il y aura toujours plus de travail. Une part croissante de ce travail sera automatisée par des agents, mais cela ne signifie pas que le nombre d’emplois humains va mécaniquement baisser. Il faudra juste repenser les tâches, les outils, et les rôles. »

C’est un changement de paradigme et une redistribution des contenus des postes, entre agents d’IA et humains, qui sont en cours. La session « Code, Copy, Conquer » a permis de clarifier les conditions de succès d’un déploiement d’agents IA en entreprise : une infrastructure cloud et data unifiée, une approche orientée cas d’usage, une implication forte des métiers, et une stratégie de montée en compétence continue. Si les promesses sont nombreuses, les entreprises doivent encore bâtir les fondations pour un passage à l’échelle réussi.