L’annonce de Salesforce autour de MuleSoft marque un tournant stratégique pour la filiale. L’éditeur place clairement sa filiale au cœur de son dispositif pour orchestrer, gouverner et industrialiser les interactions entre agents IA et systèmes métiers. Dans un contexte où les entreprises cherchent à déployer des environnements multi-agents à l’échelle, mais se heurtent à des problèmes d’intégration et de cohérence applicative, Salesforce entend proposer une infrastructure unifiée pour bâtir l’entreprise agentifiée.
Cette initiative répond directement à une contrainte exprimée par 95 % des responsables IT, selon les chiffres évoqués dans le communiqué : l’intégration demeure le principal frein à l’efficacité des agents IA. Or, MuleSoft se positionne historiquement comme un acteur central de l’intégration des API, des flux et des processus. L’enjeu, cette fois, est de passer d’une logique orientée application à une architecture conçue pour la collaboration et l’orchestration d’agents autonomes, distribués et gouvernés.
Protocole MCP, A2A et Agentforce : les nouveaux standards
En prenant en charge le Model Context Protocol (MCP) et le protocole Agent-to-Agent (A2A), MuleSoft franchit une étape décisive dans la normalisation des échanges entre agents IA et systèmes d’information. Le protocole MCP, conçu comme une passerelle bidirectionnelle entre agents et ressources applicatives, permet à toute API, application ou service d’être exploité par un agent. En parallèle, A2A structure la communication entre agents eux-mêmes, dans une logique de coordination sécurisée et évolutive.Cette double compatibilité permet à MuleSoft de se positionner en plateforme d’interopérabilité pour les architectures agentiques, en lien étroit avec Agentforce 3, le moteur d’orchestration multi-agents de Salesforce. L’objectif est clair : permettre aux entreprises d’automatiser des scénarios complexes, impliquant plusieurs agents spécialisés collaborant sur la base d’API transformées en actions intelligibles.
À titre d’exemple, un agent d’observabilité peut détecter une erreur dans Datadog, transmettre l’incident à un agent de triage pour les bases de données, qui interroge une base de connaissances, identifie le correctif, donne l’ordre à un agent de remédiation de redémarrer le service, et communique le statut final via Slack. Ce cas d’usage illustre la volonté de Salesforce d’industrialiser l’orchestration agentique en combinant flexibilité, sécurité et supervision.
MuleSoft devient le socle intégrateur des agents d’IA
En intégrant les agents IA dans son cœur de métier – l’intégration d’entreprise –, MuleSoft assoit sa pertinence dans un paysage où les plateformes convergentes prennent le pas sur les silos applicatifs. Cette dynamique s’inscrit dans la trajectoire de Salesforce, qui depuis un an articule ses briques (Data Cloud, Einstein Copilot, Agentforce, Slack, Tableau…) autour d’un socle unifié, piloté par les données et renforcé par l’IA générative.Le lancement des modules Einstein for Anypoint Code Builder complète cette vision en facilitant la génération d’API et de flux via des invites en langage naturel. Il s’agit ici de renforcer la productivité des développeurs, tout en garantissant une standardisation de la documentation, de la syntaxe et des formats. Ce mouvement vers le developer experience augmenté fait écho à ce que proposent d’autres éditeurs comme Microsoft (avec Copilot for Azure), Google Cloud (avec Gemini Code Assist), ou même SAP (avec Joule Studio).
Face à l’évolution rapide du marché vers des plateformes agentiques, Salesforce affine son positionnement. L’éditeur ne cherche pas à imposer un modèle d’agent propriétaire, mais à fédérer les interactions grâce à des protocoles standards (MCP, A2A) et une infrastructure composable. Cette approche lui permet à la fois de rassurer les grands comptes sur la maîtrise de la gouvernance (compliance, observabilité, supervision), et de séduire les acteurs engagés dans des démarches souveraines ou sectorielles. Il montre ainsi l’importance de la couche sémantique, de la sécurité et de la composabilité dans les déploiements à grande échelle, dans des environnements aussi variés que la recherche pharmaceutique ou les services financiers.
Une restructuration sous la pression d’un monde post-applicatif
Salesforce se repositionne en restructurant la nature même de sa proposition de valeur. La logique applicative verticale se heurte aujourd’hui à deux menaces convergentes. La première est l’agentification des interactions, qui déplace la valeur vers les couches d’orchestration et d’intelligence. La seconde est l’avènement des plateformes unifiées qui visent à fédérer les données, les processus, les modèles et les actions, une logique incarnée par de grands acteurs, comme Microsoft (Copilot + Fabric + Azure) et Google, SAP ou ServiceNow.Plus qu’une évolution de produit, l’annonce de MuleSoft complète le basculement stratégique de Salesforce, qui se détourne progressivement des applications métiers en silo — qui ont fait son succès — pour se repositionner comme une plateforme d’orchestration des flux, des données et désormais des agents intelligents. Cette inflexion révèle une double crainte qui traverse tout l’écosystème applicatif : la peur de la désintermédiation par l’IA générative, et celle de devenir un simple fournisseur de logiciels métiers dans un monde qui migre vers des environnements automatisés, personnalisables, pilotés par des agents et centrés sur la donnée.
Les applications : des « endpoints » appelés par des agents
Dans ce nouveau paysage, les applications deviennent des “endpoints” appelés par des agents via des API et le protocole MCP. La logique transactionnelle cède la place à une logique d’action contextuelle. Salesforce ne peut pas rester uniquement un éditeur d’applications CRM dans un monde où la relation client est médiée par des agents qui agissent en temps réel sur les flux de données, les connaissances et les événements.Ce basculement n’est pas spécifique à Salesforce : SAP repense sa plateforme autour de Joule, ServiceNow autour de Now Assist et ServiceNow Workbench, Oracle autour d’OCI AI Services et de Redwood UX. Tous ces acteurs redoutent une même chose : que l’IA relègue les logiciels métiers traditionnels au second plan, derrière une couche unifiée d’agents intelligents interopérables. Salesforce répond par l’absorption verticale : au lieu de voir émerger des plateformes d’agents au-dessus de ses systèmes, il construit la sienne et la propose en standard, avec MuleSoft comme catalyseur technique.