L’écosystème français du numérique vient de franchi une étape décisive avec l’officialisation du Comité stratégique de la filière (CSF) Logiciels et solutions numériques de confiance. Signé par Philippe Baptiste, ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Marc Ferracci, ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie, et Clara Chappaz, ministre déléguée à l’Intelligence artificielle et au Numérique, ce contrat stratégique incarne une volonté politique forte : structurer un secteur d’avenir dans un environnement technologique et géopolitique perturbé.

Il intervient « dans un contexte de compétition internationale exacerbé dans le domaine du numérique et marqué par d’importants bouleversements technologiques, au premier rang desquelles figure l’intelligence artificielle générative », explique Bercy.

Présidé par Michel Paulin, figure bien connue de l’industrie numérique, ce nouveau CSF entend fédérer les forces d’un secteur en croissance rapide, mais encore hétérogène. Avec un chiffre d’affaires de 23,7 milliards d’euros en 2023 et une croissance annuelle supérieure à 10 %, la filière représente environ 100 000 emplois en France, et crée entre 8 000 et 10 000 postes supplémentaires chaque année. Ses champs d’application vont du cloud souverain aux infrastructures quantiques, en passant par la cybersécurité, l’intelligence artificielle et les logiciels métiers. Autant de domaines dans lesquels la France veut affirmer sa souveraineté technologique face à la domination des géants
non européens.

Une chaîne de valeur cohérente et intégrée

L’initiative gouvernementale s’inscrit dans le cadre plus large de l’agenda d’autonomie stratégique porté depuis 2017 par la présidence française et soutenu à l’échelle européenne par des programmes comme IPCEI Cloud ou Gaia-X. Le contrat stratégique repose sur cinq orientations principales : accélérer l’émergence d’offres cloud-IA de bout en bout, renforcer la formation et l’innovation durable, définir un cadre opérationnel pour le traitement des données sensibles, faciliter l’accès des fournisseurs à la commande publique et encourager le développement international du secteur. À cela s’ajoute une ambition transversale : favoriser l’interconnexion des solutions proposées par les différents acteurs, dans une logique de chaîne de valeur cohérente et intégrée.

Le secteur privé a rapidement exprimé son soutien à cette démarche. Outscale, filiale cloud de Dassault Systèmes et seul opérateur public français qualifié SecNumCloud depuis 2019, revendique un rôle moteur dans la préfiguration du CSF. Son directeur de la stratégie, David Chassan, également secrétaire général d’Hexatrust, a mené près de 30 entretiens avec les acteurs clés de l’écosystème pour nourrir le contenu du contrat. Outscale entend désormais renforcer son implication, en s’appuyant notamment sur ses solutions technologiques souveraines comme Tina OS, son orchestrateur cloud propriétaire, et sur des innovations stratégiques telles que son offre Kubernetes as a Service ou ses modèles de langage en partenariat avec Mistral AI — à ce jour le seul partenariat industriel de ce type en Europe.

Les acteurs non européens raflent entre 70 % et 80 % des dépenses

Autre acteur engagé, Oodrive participera activement aux travaux du CSF aux côtés de Docaposte. Les deux entreprises co-piloteront un groupe de travail dédié à la souveraineté numérique et à la sécurité des données stratégiques. Ce groupe réunira des représentants de l’État, mais aussi du Cesin, du Cigref, de la CNIL et de l’ANSSI, autour de trois objectifs tangibles : structurer une offre d’infrastructures de confiance, définir ce que recouvre la notion de donnée sensible, et établir des méthodes communes pour leur classification, leur protection et leur gouvernance.

La création de cette filière intervient alors que la dépendance aux fournisseurs non européens reste massive. D’après Clara Chappaz, entre 70 % et 80 % des dépenses numériques des administrations et entreprises françaises vont encore aujourd’hui vers des acteurs non européens. Dans ce contexte, le CSF ambitionne de rééquilibrer le rapport de force en consolidant un écosystème national et européen capable d’apporter des alternatives crédibles, performantes et sécurisées.

Unifier dans un monde fragmenté

Ce premier contrat stratégique donne ainsi un cadre structurant à une ambition collective : construire une filière unifiée, agile et tournée vers l’innovation, apte à répondre aux exigences croissantes de souveraineté, de résilience et de transparence. Reste désormais à transformer l’essai, en fédérant durablement les acteurs autour de projets concrets, en assurant un soutien public fort et cohérent, et en rendant cette filière visible et compétitive sur les marchés internationaux. Le monde est secoué de soubresauts où les lignes technologiques et géopolitiques bougent vite, cette structuration sectorielle apparaît moins comme une option que comme une nécessité stratégique pour la France et pour l’Europe. C’est aussi une occasion de créer des réflexes de solidarité industrielle, de mutualisation des savoir-faire et de coopération durable entre acteurs publics et privés.

Les dissensions actuelles exacerbées par une concurrence technologique féroce résultent en un environnement dominé par la fragmentation des chaînes de valeur et la dépendance technologique à des puissances extérieures. Cette dynamique de filière permet d’ancrer l’innovation dans un cadre de confiance, de lisibilité et de résilience. Elle offre aux entreprises françaises un socle pour innover ensemble, accélérer la montée en puissance de solutions souveraines et peser, collectivement sur les standards et les régulations du numérique à venir. Car ce qui vient est autrement plus puissant que ce qui a été jusqu’à présent : il est propulsé par l’algorithmie cognitive.