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Le but derrière l’utilisation de la technologie topologique est de surmonter l’un des problèmes de fond de l’informatique quantique : l’instabilité de qubits et leur sensibilité aux perturbations extérieures. Ces unités fondamentales de l’information quantique, des particules subatomiques soumises aux lois de la physique quantique, sont extrêmement sensibles aux perturbations environnementales, ce qui peut entraîner des erreurs dans les calculs. Pour remédier à cette fragilité, Microsoft a concentré ses efforts sur les qubits topologiques. Ceux-ci sont protégés des interférences extérieures grâce aux propriétés topologiques des quasi-particules, ce qui les rend plus robustes et moins
sujets aux erreurs.
Les quasi‑particules sont des excitations collectives dans des systèmes à nombreux corps, notamment en physique de la matière condensée. Autrement dit, plutôt que d’observer directement le comportement individuel de chaque électron ou ion dans un solide (ce qui est mathématiquement inabordable), on décrit le système en termes d’excitations qui se comportent « comme » des particules indépendantes, avec des propriétés effectives (masse, charge, etc.) qui peuvent différer de celles des particules élémentaires
qui les composent.
Des qubits intrinsèquement protégés…
En clair, autant qu’on puisse être clair en abordant un domaine de la physique qui nous paraît illogique, les qubits topologiques, tels que ceux basés sur les fermions de Majorana, sont intrinsèquement protégés contre certaines formes d’erreurs grâce à leurs propriétés topologiques. Pour expliquer simplement cette propriété, il est nécessaire de clarifier une des propriétés de la topologie, permettant de décrire la forme générale d’un objet. En topologie, on ne se préoccupe pas des détails. Par exemple, un beignet et une tasse à café sont considérés comme identiques en topologie, parce qu’ils possèdent tous deux un trou. Ce qui compte, c’est la forme générale et non les détails précisde leur surface.
De façon similaire, dans certains matériaux (comme certains supraconducteurs ou isolants dits topologiques), les excitations quantiques appelées quasi-particules possèdent des propriétés globales, des empreintes uniques de la forme du système, qui restent inchangées même si on modifie légèrement l’environnement local avec de petites perturbations. Ces propriétés « de groupe » sont définies par des nombres ou des indices (par exemple, un nombre de Chern) qui ne changent pas tant que la structure globale du système reste la même, par exemple, tant qu’un « gap » d’énergie (une zone d’énergie interdite aux excitations) persiste. Le « gap topologique" est un écart énergétique qui détermine la robustesse du qubit face aux erreurs et aux perturbations. Un gap topologique mesurable est essentiel pour garantir que les sous-composants d'un qubit fonctionnent dans une phase topologique stable, prête pour le traitement de l'information quantique.
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Cette stabilité, ou « protection topologique », signifie que l’état quantique associé à ces quasi-particules est très robuste : même si des perturbations locales surviennent (comme des défauts ou des fluctuations à petite échelle), elles ne parviennent pas à modifier la configuration globale qui protège l’information quantique. C’est un avantage majeur dans le domaine de l’informatique quantique. Cette approche est rendue possible par l’utilisation de particules de Majorana, des fermions théorisés en 1937 par le physicien Ettore Majorana. En manipulant ces particules au sein d’un matériau spécialement conçu, appelé
« topoconducteur », Microsoft a réussi à créer des qubits plus fiables et stables.
… basés sur la supraconductivité topologique
Ce topoconducteur est une nouvelle classe de matériaux développée par Microsoft, combinant de l’arséniure d’indium (un semi-conducteur) et de l’aluminium(un supraconducteur). Cette combinaison permet de créer une supraconductivité topologique, un état de la matière qui n’avait été jusqu’alors que théorisé. Ce matériau innovant est essentiel pour la formation et le contrôle des qubits topologiques, offrant une plateforme plus stable pour les opérations quantiques.
Le processeur Majorana 1 intègre actuellement huit qubits topologiques sur une puce de taille comparable aux processeurs conventionnels. Cependant, l’architecture de ce processeur est conçue pour évoluer jusqu’à un million de qubits sur une seule puce. Cette capacité d’évolutivité est cruciale pour que les ordinateurs quantiques puissent résoudre des problèmes complexes à l’échelle industrielle, tels que des simulations précises en chimie, la découverte de nouveaux médicaments ou le développement de matériaux.
Avec l’annonce de Majorana 1, Microsoft se positionne pour la course à l’informatique quantique. Contrairement à ses concurrents tels qu’IBM et Google, qui explorent principalement des qubits supraconducteurs ou à base d’ions piégés, Microsoft mise sur l’approche topologique pour surmonter les défis de stabilité et d’évolutivité. Cette stratégie différenciée pourrait offrir à l’entreprise un avantage compétitif significatif dans le développement de solutions quantiques commercialisables.
Bien que Majorana 1 représente une avancée notable, plusieurs défis subsistent avant que les ordinateurs quantiques ne deviennent une réalité commerciale. Parmi ceux-ci, la fabrication à grande échelle de puces intégrant un million de qubits, la correction d’erreurs quantiques et l’intégration avec les infrastructures informatiques existantes sont des obstacles majeurs à surmonter. Néanmoins, l’engagement de Microsoft et ses partenariats stratégiques, notamment avec la DARPA, laissent entrevoir des progrès rapides dans les années à venir.