Comment le moteur de recherche est-il devenu ce qu'il est aujourd'hui ? Une grande part de la réponse tient dans l'association de l'innovation et du management. Qui a cependant ses limites.
A l'origine, Google était une entreprise d'ingénieurs. D'autres se sont construites sur ce même modèle, à l'exemple de HP, Xerox ou d'IBM, avant de prendre des directions différentes ou parfois de se fourvoyer dans des modèles où elles ont perdu une partie de leur âme. Aujourd'hui, 10 ans après avoir séduite les marchés financiers, Google est toujours une entreprise d'ingénieurs.
Et pourtant, Google a su mener deux vies parallèles : celle d'une entreprise technologique qui a gardé une partie de son modèle original de start-up tournée vers l'innovation ; et celle d'une entreprise plus classique, menée par des gestionnaires qui se sont s'intégrés au modèle initial. Il lui a donc fallu maintenir ces deux axes, pousser ses hommes dans la direction de l'innovation, tout en leur faisant accepter les règles du management.
L'entreprise innovante
Premier enseignement apporté par Google, favoriser l'innovation en faisant preuve de patience. Mais en gardant une ligne de conduite technologique orientée vers les plateformes qui demain offriront les infrastructures nécessaires pour continuer de rendre l'innovation possible. Et accessoirement (!) de prolonger les modèles économiques existants.
Cette approche sur le long terme a son corollaire : l'innovation doit être une démarche permanente. Google l'a bien compris, son modèle repose sur la capacité d'apprendre à partir des expériences et sur celle de combiner les idées, même opposées. Un modèle qui s'applique sous une forme déjà connue (sous le nom de Quadrant Pasteur) mais encore trop peu pratiquée, qui consiste à simultanément élargir les connaissances tout en cherchant à répondre à des besoins sociétaux spécifiques.
L'approche Google a aussi un mérite, celui de reconnaître l'importance de l'échec. Une leçon que les entreprises comme la société françaises devraient apprendre...
Cette stratégie s'est traduite à l'origine par la mise à disposition de 20 % du temps de ses employés pour des projets secondaires, caritatifs, mais surtout intéressants pour Google. C'est sur ces 20 % que, par exemple, sont nés Gmail et AdSense. Depuis, Google est revenu sur ce modèle, déclaré dispendieux, pour adopter une approche plus économiquement pragmatique, qui consiste à mesurer la productivité individuelle afin d'accorder ce temps à ceux qui le méritent… cherchez un sens à cette expression.
L'entreprise gestionnaire
L'exemple des 20 % de temps de disponibilité est significatif de la façon à laquelle Google a su faire évoluer son organisation et intégrer la gestion dans son modèle initial. L'entreprise a relevé un défi, celui de convaincre ses employés que le management est précieux. Et pour cela, elle a mis en place une approche quantitative, analytique (people analytics), qui porte tout autant sur la production que sur les hommes. Jusqu'à mesurer le 'degrés de bonheur' dans l'aménagement des bureaux !
L'importance de la gestion prend aussi forme dans la direction managériale de Google. Au moment de l'IPO, l'entrée en bourse, Eric Schmidt a pris la direction de la société. C'est une démarche courante dans les start-up américaines, les fondateurs, généralement techniciens, cèdent la place à un gestionnaire et se replient sur leur premier domaine de compétence. La démarche rassure les marchés et permet aux jeunes pousses d'atteindre une maturité dans leur gestion. Dans l'exemple de Google, elle était également destinée à freiner les jeunes fondateurs.
Un modèle qui n'est pas sans défauts
C'est l'association de la technique et de la gestion qui rend l'innovation possible. Cela, Google l'a très vite compris. Là où d'autres ne suivent qu'une seule voie, généralement la seconde, au risque de s'y perdre.
Pour autant, le modèle a également ses défauts. Nous n'évoquerons pas le management des hommes, une étude de celui appliqué par Apple serait probablement plus adaptée. En revanche, l'observation du nombre de projets et de produits issus de l'innovation de Google, mais qui n'ont pas donné de résultats est tout simplement incroyable. Les lunettes connectées Google Glass en sont le dernier exemple flagrant.
Ce qui a pour effet de nous inviter à revenir à plus de réalisme. Car si Google a su maintenir sa stratégie d'innovation depuis sa création et après son IPO, il y a 10 ans, c'est qu'elle repose sur un modèle économique qui reste basé sur l'union de deux produits : le search (moteur de recherche) et la publicité. Sortez de ce modèle, et Google n'existe plus ! Comme quoi toute stratégie d'innovation a ses limites, celles de la réalité économique...