Face à la Chine, qui investit massivement en ce domaine, à l’Europe également qui souhaite limiter les dégâts et raccrocher ses wagons à la tendance, l’administration Trump veut adopter une stratégie nationale sur l’Intelligence Artificielle et séduire la Silicon Valley. Mais de ce côté là, rien n’est gagné…
Dans un mémo publié en mai dernier, que le New York Times a pu consulter, Jim Mattis, le secrétaire américain à la Défense implorait le Président Trump de créer une stratégie nationale sur l’Intelligence Artificielle (IA).
La crainte de militaires
Le mémo reflétait au sujet de l’IA un sentiment d’urgence grandissant chez les responsables américains de la défense. Une partie d’entre eux estiment, avec réalisme, que l’IA sera, dans le domaine de la guerre, la prochaine révolution technologique.
Et ils ne supportent pas la stratégie officielle de la Chine, qui a invité les organisations académiques et commerciales chinoises à travailler en étroite collaboration avec l’armée sur leurs projets IA, selon une approche qualifiée de « fusion civilo-militaire ».
Pour le moment, le mémo ne semble pas avoir eu d’effet. Donald Trump est-il un ‘IA sceptique’, tout comme il est un ‘climato-sceptique’ ? Même le panel d’officiels du gouvernement créé pour réfléchir sur ce sujet avant même la rédaction du mémo, et emmené par l’Office of Science and Technology Policy, n’a pas réagi…
Le Pentagone avance seul
Le Pentagone semble avancer seul vers son IA. Il a créé un nouveau bureau de recherche, le Joint Artificial Intelligence Center, ou JAIC (prononcez ‘Jake’). Le ministère de Défense lui a transféré 75 millions de dollars de son budget annuel, et projetterait un budget de 1,7 milliard de dollars sur les 5 ans à venir.
Le Pentagone aurait déjà lancé plusieurs dizaines de projets IA. Dont Maven, projet considéré comme symbolique de l’idéologie de défense américaine, qui consiste à créer une technologie permettant d’identifier les personnes et les objets dans les vidéo captées par des drones. La problématique de l’armée américaine devient celle des entreprises : analyser les énormes volumes de données qu’elle emmagasine et automatiser la prise de décision. C'est déjà une problématique sur le terrain, les infrastructures informatiques de l'US Army ne suffisent pas pour analyser les données collectées par les drones sur les fronts où elle est présente...
La Silicon Valley va-t-elle suivre ?
C’est justement ce type d’idéologie et d'usage qui aujourd’hui vient heurter les entreprises de la Valley. Probablement à la surprise des militaires, l’armée américaine et les entreprises technologiques historiques, dont celles qui ont fondé la Silicon Valley, ont toujours été très proches. Et une partie des technologies qui ont fait la richesse des technos ont été financées par l’armée et la Darpa, le bras financier de la recherche militaire américaine.
La Darpa est par exemple à l’origine de la première ossature de réseaux qui a abouti à la création de l’Internet. Ou encore a parrainé les premières recherches sur les véhicules autonomes… Les entreprises qui sont pointées comme étant à l’origine de ces technologies travaillent depuis des décennies aux côtés du Pentagone. Ont les appelle d’ailleurs des 'government contractors'.
La méfiances de la Valley
Seulement aujourd’hui, le Pentagone, qui a ouvert une première agence JAIC sur la Silicon Valley, doit affronter la défiance nouvelle des entreprises de la Valley à travailler avec l’armée et les agences de renseignement.
Des milliers d'employés de Google ont par exemple protesté contre l'implication de leur entreprise dans le projet Maven. Il a fallu attendre que les manifestations deviennent publiques, mais Google s'est finalement retiré du projet .
L’activisme venant de la Valley ne cesse de s’étendre. D’abord est venue l’opposition à l’élection de Donald Trump – la Californie est historiquement un bastion démocrate, sauf quand le gouverneur républicain a été un célèbre acteur d’Hollywood ! -, puis l’opposition au Président Trump. Et aujourd’hui, la préoccupation est liée à la militarisation des technologies et leur application à la surveillance.
De l’éthique, de l’humanitaire et de la sécurité
La présence de la première agence JAIC sur la Silicon Valley répond à l’objectif de l’armée américaine de se rapproche des compétences dans l’IA, et d’inviter ces entreprises, récentes pour la plupart, à travailler avec elle. Le discours de ses responsables pointe la discordance amenée par la protestation de Google, qui fausserait les projets IA de l’armée.
Et d’affirmer que l'accent serait mis sur « l'éthique, les considérations humanitaires et la sécurité à court et long terme de l'IA ».
Cela suffira-t-il à rassurer les acteurs de l’IA, dont une grande partie de leurs équipes sont farouchement opposées aux potentiels usages militaires de leurs développements ? La situation est nouvelle, pour les entreprises comme pour l’armée américaine. Avec une question qui taraude les sceptiques, alimentée par des plans du Pentagone qui restent bien abstraits : des systèmes d’armes seront-ils attachés à l’IA ?
Les mentalités américaines nous surprendront toujours... Que les opposants à Trump, au Pentagone et à l’armée font preuve d’une étonnante naïveté ! Le succès – ou l’échec ? - de l’agence du Pentagone sera certes un signe, mais combien d'entreprises de la Valley résisteront à l'attirance des budgets militaires ? En attendant, le débat et ouvert...
Source : NYT
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