Numspot change de registre. Derrière l’annonce d’une « plateforme cloud nouvelle génération », l’acteur français ne se contente plus d’opérer un cloud souverain adossé à Outscale. Il engage un déplacement stratégique vers une couche de pilotage portable, hybride et ouverte, pensée pour dépasser le cadre d’un fournisseur unique et structurer une alternative européenne plus large.

Depuis plusieurs années, le marché du cloud souverain français avance sous contrainte. Contraint par la domination des hyperscalers, par des attentes réglementaires élevées et par des clients souvent déjà engagés dans des architectures hybrides complexes. Dans ce paysage, Numspot, coentreprise réunissant la Banque des Territoires, Docaposte, Dassault Systèmes et Bouygues Telecom, a longtemps été perçu comme un acteur étroitement lié à l’infrastructure souveraine d’Outscale. L’annonce d’une plateforme de pilotage du cloud marque une inflexion nette de cette trajectoire.

Le communiqué officiel reste mesuré, mais l’entretien avec Gaspard Plantrou, chief product officer de Numspot, éclaire la portée réelle de cette évolution. « Outscale est notre fournisseur d’infrastructures… nous, on consomme le IaaS, on fait notre sauce, et on propose des services managés basés sur cet IaaS », explique-t-il. Autrement dit, Numspot ne se positionne plus comme un simple opérateur de cloud public souverain, mais comme un fournisseur de plateforme située au-dessus des infrastructures, capable de s’en abstraire.

Une plateforme plan de contrôle, pas un cloud de plus

Le cœur de l’annonce repose sur cette idée de plateforme unifiée, capable de piloter des environnements cloud privés, publics ou sur site via une console et des services communs. Là où le communiqué évoque une « portabilité » de manière relativement classique, les propos tenus en entretien confirment qu’il s’agit d’un axe structurant. « Le critère principal pour pouvoir se poser, c’est un provider qui expose des API. À partir du moment où ce provider est fourni, on sait qu’on peut se poser », précise Gaspard Plantrou.

Cette phrase est déterminante. Elle signifie que la plateforme Numspot n’est ni liée à un hyperviseur spécifique, ni à un matériel donné, ni à un fournisseur unique. Elle s’appuie massivement sur Kubernetes et sur des architectures de type control plane, afin de proposer des services managés identiques quel que soit le socle d’infrastructure sous-jacent. « Les services managés sont les nôtres, ce ne sont pas ceux d’Outscale », insiste le responsable produit.

Dans cette logique, Outscale demeure un point d’ancrage initial, notamment pour des raisons de souveraineté, de certification et de crédibilité industrielle. Mais il ne constitue plus une limite stratégique. Numspot revendique explicitement sa capacité à se déployer sur d’autres acteurs européens, qu’il s’agisse de neoclouds ou d’infrastructures privées existantes.

Une ambition européenne et territoriale assumée

L’un des apports majeurs de l’entretien tient à l’élargissement du champ de vision. Là où le communiqué reste centré sur les entreprises et les administrations françaises, Gaspard Plantrou évoque des scénarios bien plus larges. « Si le Portugal voulait définir une offre souveraine mais n’a qu’une infrastructure… il peut prendre notre plateforme et bénéficier de tous les services du cloud public », explique-t-il, citant également des régions, des groupements ou des secteurs métiers.

Numspot se projette ainsi comme un outil d’industrialisation du cloud souverain, capable d’être fourni en marque blanche et de structurer des écosystèmes locaux ou nationaux sans exiger des investissements massifs dans une pile cloud complète. Cette approche tranche avec les modèles traditionnels du cloud souverain, souvent enfermés dans une logique nationale ou dans une dépendance forte à un fournisseur unique.

La plateforme devient alors un levier de mutualisation, de standardisation et de montée en maturité, plus qu’un simple catalogue de services. « Hybride, portable, coexistence », résume Gaspard Plantrou, en décrivant une posture assumée de complément des hyperscalers plutôt que de substitution frontale.

Open source, services managés et accélération des usages

Sur le plan technologique, Numspot revendique une approche « open source first » sans ambiguïté. « On ne crée aucune technologie, c’est un empilement judicieux et pertinent », explique le chief product officer. La valeur ne réside pas dans l’invention de briques nouvelles, mais dans leur intégration, leur opérabilité et leur cohérence au sein d’une plateforme unique.

Concrètement, Numspot propose aujourd’hui un socle d’environ sept services PaaS managés, couvrant Kubernetes, des bases de données, un registre de conteneurs, la gestion des secrets et, à venir, l’observabilité et des services de données complémentaires. L’objectif affiché est de couvrir près de 80 % des workloads classiques, y compris dans des contextes hybrides ou souverains.

Cette capacité d’intégration rapide constitue un argument clé. « On est capable de faire une démo POC en moins d’une semaine, et un produit à 80 % intégré », affirme Gaspard Plantrou, en mettant en avant une plateforme conçue aussi pour accélérer les partenariats logiciels, notamment avec des éditeurs encore peu cloud natifs.

Une approche pragmatique de l’IA, centrée sur l’opérabilité

Sur l’intelligence artificielle, l’écart entre le discours marketing habituel et la posture de Numspot est notable. L’entreprise ne cherche pas à multiplier les annonces de modèles ou de catalogues de LLM. « On n’est pas dans la course à la liste de LLM », tranche le responsable produit. La valeur se situe ailleurs, dans l’outillage, le cycle de vie, l’isolation et la gouvernance des modèles.

Numspot applique ici un principe revendiqué de dogfooding. « Nous sommes notre propre client », rappelle Gaspard Plantrou. Les solutions IA proposées sont d’abord déployées et éprouvées en interne, afin d’identifier les points de friction liés au déploiement, à la maintenance et à l’évolution des modèles. Ce retour d’expérience alimente ensuite l’offre destinée aux clients, dans une logique de services et de cadres opérables plutôt que de promesses génériques.

Une trajectoire encore à consolider

À ce stade, Numspot ne cherche pas à se détacher d’Outscale, mais à s’en affranchir fonctionnellement. La distinction est essentielle. L’infrastructure souveraine demeure un socle critique, notamment pour les exigences SecNumCloud et HDS, mais la valeur stratégique se déplace vers la plateforme elle-même, conçue comme un plan de contrôle portable et européen.

Reste à transformer cette ambition en réalité industrielle à grande échelle. La capacité à conclure des partenariats hors de France, à maintenir une cohérence forte entre des environnements hétérogènes, et à convaincre des écosystèmes locaux de s’appuyer sur cette plateforme, constituera le véritable test de maturité de la démarche. Numspot esquisse ainsi une voie médiane entre dépendance aux hyperscalers et souveraineté intégrale, en pariant sur la modularité, l’ouverture et l’opérabilité comme leviers de confiance numérique.

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