La filière européenne des semiconducteurs fait face à une pénurie chronique de main-d’œuvre qualifiée, que la conjoncture récente n’a fait qu’atténuer. Selon la dernière édition de l’ECSA, le déficit de compétences, estimé à soixante-cinq mille postes non pourvus d’ici 2030, constitue un frein majeur à la souveraineté industrielle européenne et impose une mobilisation de tous les acteurs pour anticiper l’évolution des métiers et renouveler les dispositifs de formation.
Le marché européen des semiconducteurs, porté par la stratégie de relocalisation industrielle et les grands investissements du Chips Act, a connu un ralentissement marqué en 2024 : plusieurs projets emblématiques, tels que la nouvelle usine Intel de Magdebourg ou l’investissement GlobalFoundries à Crolles, ont été reportés ou annulés. Cette contraction a provisoirement atténué la tension sur le recrutement, mais le constat demeure sans appel. Le déficit de compétences reste un enjeu structurel pour l’industrie européenne des semiconducteurs, même si la conjoncture 2024-2025 a temporairement desserré la pression selon les auteurs de l’étude.
Les projections actualisées font état d’un déficit annuel moyen de près de onze mille travailleurs qualifiés, soit soixante-cinq mille postes non pourvus à l’horizon 2030 — un chiffre légèrement revu à la baisse après l’annulation de quatre projets majeurs, mais qui reste préoccupant pour la compétitivité de la filière. Ce déficit s’explique avant tout par le vieillissement du personnel : près d’un salarié sur trois partira à la retraite d’ici la fin de la décennie, alors que le flux de nouveaux diplômés stagne, notamment dans les spécialités critiques de l’électronique, du logiciel, de l’analogique et de la cybersécurité.
Transformation des métiers et complexité des compétences
La mutation technologique accélérée, portée par l’intégration de l’intelligence artificielle, l’essor des architectures edge, le quantique et la microélectronique de puissance, recompose la cartographie des compétences recherchées. Les profils les plus demandés restent les ingénieurs logiciels, les concepteurs systèmes et analogique, suivis par les experts cybersécurité, pour lesquels il manquera deux mille six cents spécialistes à l’horizon 2030. La montée en puissance de l’automatisation et de l’IA fait évoluer les métiers, renforçant les exigences de transversalité : co-conception matériel/logiciel, intégration de systèmes complexes, gestion de la sécurité, et capacité à piloter des dispositifs de fabrication automatisés et des chaînes de données en temps réel.
L’étude insiste sur la montée de nouveaux profils hybrides : ingénieurs IA, concepteurs hardware/AI, architectes edge computing, spécialistes du quantique, ou experts en durabilité et packaging avancé. Les soft skills deviennent décisives pour accompagner l’innovation et le pilotage de projets complexes : l’idéal est un professionnel combinant expertise technique et capacités relationnelles, adaptabilité, créativité et leadership, selon les auteurs.
Freins à l’attractivité : concurrence sectorielle et déficit d’image
Malgré la visibilité apportée par le Chips Act et la relocalisation, l’industrie européenne souffre d’un déficit d’attractivité face à d’autres secteurs technologiques. La concurrence de l’énergie, de l’environnement et du numérique de santé détourne une partie des diplômés STEM. Le brain-drain vers les pôles américains ou asiatiques persiste, tandis que la sous-représentation des femmes et la faible mobilité intra-européenne pèsent sur la diversité des viviers. La fragmentation des dispositifs de formation, la lenteur d’adaptation des cursus et la complexité administrative limitent l’intégration rapide des compétences émergentes, selon les experts interrogés.
Certains pays disposent d’un excédent de diplômés, comme l’Espagne, la Roumanie ou la Grèce, mais leur intégration dans les bassins industriels majeurs reste marginale, faute de politiques de mobilité attractives et de passerelles interrégionales. Les dispositifs portés par l’ECSA et les initiatives nationales, tels que les hubs de formation, l’alternance ou le co-développement de cursus, peinent encore à produire un effet d’entraînement à grande échelle.























