AMD dévoile une stratégie de croissance d’un billion de dollars et revendique une position de leader sur le marché de l’infrastructure IA. Derrière cette communication offensive, le fondeur cherche à s’affirmer face à Nvidia et Intel dans la course mondiale à l’équipement des centres de données.

Lors de son Financial Analyst Day du 11 novembre 2025, AMD a présenté une feuille de route ambitieuse visant à tripler ses bénéfices d’ici 2030 et à capter une part significative du marché mondial des centres de données, estimé à 1 000 milliards de dollars. L’entreprise s’appuie sur la montée en puissance de sa gamme de processeurs EPYC, de ses accélérateurs GPU Instinct et de son écosystème complet d’intégration système, baptisé Helios. L’annonce s’accompagne d’une promesse de croissance annuelle moyenne supérieure à 35 % et d’un bénéfice par action non-GAAP supérieur à 20 dollars à horizon de 3 à 5 ans.

Les chiffres publiés par AMD pour le troisième trimestre 2025 confirment cette dynamique. Le chiffre d’affaires atteint 9,246 milliards de dollars, en hausse de 36 % sur un an, pour une marge brute de 52 % (54 % non-GAAP) et un résultat net de 1,243 milliard de dollars (61 % de croissance). Le segment Data Center, moteur de cette performance, progresse de 22 % pour atteindre 4,341 milliards de dollars. Ces résultats traduisent la montée en puissance des serveurs EPYC de quatrième génération et la demande croissante des GPU Instinct MI325, conçus pour les applications d’IA générative et d’entraînement de modèles.

Une communication ambitieuse portée par des résultats solides

Mais la portée de cette annonce dépasse la simple performance financière. AMD cherche à se positionner comme un acteur incontournable d’un marché où Nvidia règne en maître, où Intel tente de se relancer avec ses architectures Gaudi et Falcon Shores, et où Arm consolide son influence dans les infrastructures à faible consommation. Dans ce contexte, la communication de Lisa Su, la CEO d'AMD, se lit autant comme un signal adressé aux investisseurs que comme une démonstration de puissance industrielle.

La compétition pour l’infrastructure IA se joue sur trois terrains : la puissance de calcul, l’efficacité énergétique et la maîtrise de la chaîne d’approvisionnement. Nvidia domine sur le premier, avec ses GPU H200 et ses architectures NVLink interconnectées. AMD mise sur une approche intégrée combinant CPU, GPU et interconnexions Infinity Fabric, tandis qu’Intel tente de reprendre pied en capitalisant sur son expérience en gravure et sur la diversification de son offre Foundry. Arm, de son côté, s’impose comme alternative pour les architectures cloud et edge, grâce à son efficacité énergétique et sa modularité.

Une bulle de l’IA sous surveillance

Pour AMD, la stratégie Helios consiste à livrer des racks complets optimisés pour les centres de données d’IA, capables d’accueillir ses GPU Instinct et ses processeurs EPYC dans une configuration standardisée et rapide à déployer. Ce modèle intégré, inspiré des AI Factories de Nvidia, doit permettre à AMD de capter la demande croissante en infrastructures prêtes à l’emploi et de réduire sa dépendance vis-à-vis des intégrateurs tiers.

Le marché des semiconducteurs liés à l’IA connaît une expansion spectaculaire, mais certains analystes y voient déjà les signes d’une bulle spéculative. Les annonces à 1 000 milliards de dollars rappellent les promesses des débuts du cloud ou de la blockchain. AMD n’échappe pas à cette logique, sa stratégie repose sur des prévisions de demande exponentielle et sur la capacité des entreprises à généraliser les usages de l’IA générative à grande échelle. Or, la concrétisation de ces investissements dépendra de la rentabilité réelle des déploiements et de la capacité des entreprises à absorber la complexité technologique et énergétique de ces infrastructures.

Les résultats actuels d’AMD apportent toutefois une crédibilité à son discours. La société bénéficie d’un portefeuille équilibré, d’une chaîne d’approvisionnement éprouvée et d’une progression notable dans les grands comptes cloud et HPC. Sa stratégie de différenciation par la flexibilité et l’ouverture logicielle (notamment via ROCm, son environnement open source concurrent de Cuda) pourrait séduire les hyperscalers soucieux d’éviter une dépendance excessive à Nvidia.

Des enjeux industriels et géopolitiques persistants

Au-delà des performances techniques, AMD évolue dans un environnement où la politique industrielle et les tensions commerciales jouent un rôle majeur. La dépendance vis-à-vis de TSMC pour la production de ses puces reste une vulnérabilité stratégique, alors que les États-Unis renforcent leurs contrôles à l’exportation vers la Chine et que l’Europe accélère ses programmes de réindustrialisation. Les alliances industrielles, les investissements publics et la localisation des fonderies pèseront lourd dans la compétition mondiale autour de l’IA.

Dans cette perspective, la communication d’AMD peut être perçue comme une manœuvre de positionnement géoéconomique, visant à rappeler sa place dans la chaîne de valeur mondiale et à conforter sa légitimité auprès des acteurs institutionnels et financiers. L’entreprise joue sur un double registre : la performance technique immédiate et la projection symbolique dans un futur dominé par le calcul intensif.

Pour les opérateurs de centres de données, la diversification des offres constitue une évolution bienvenue. L’arrivée d’un AMD capable de rivaliser sur la pile complète (CPU, GPU, rack, logiciel) introduit une concurrence plus effective et de nouvelles marges de manœuvre. Les grands acteurs du cloud, déjà dépendants de Nvidia pour leurs accélérateurs, pourraient profiter de cette ouverture pour équilibrer leurs approvisionnements, réduire leurs coûts et accélérer leurs déploiements IA.

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