Pendant plusieurs décennies, les progrès informatiques étaient mesurés à l’aune de la loi de Moore, qui prédisait que le nombre de transistors présents sur une puce électronique doublerait d’année en année. La taille des transistors a donc diminué, les puces ont gagné en rapidité et les appareils électroniques sont devenus de plus en plus puissants. Toutefois, à l’heure actuelle, le rythme de cette évolution a grandement ralenti et les progrès informatiques se heurtent à des limites physiques : le silicium ne peut pas être réduit indéfiniment, les datacenters ont atteint leur consommation énergétique maximale et les modèles d’IA ne peuvent plus se développer sans engendrer des coûts environnementaux, économiques et humains non viables.

Aujourd’hui, une question se pose : où l’industrie technologique devrait-elle puiser son inspiration ? La réponse s’impose de manière de plus en plus évidente : il est temps de mettre la force brute de côté et de s’intéresser davantage aux stratégies mises en place par la nature. Après tout, depuis des milliards d’années, les systèmes vivants n’ont eu de cesse que de tenter de résoudre leurs problèmes d’efficacité, d’adaptabilité, de résilience et de stockage, soit les mêmes problèmes qui tourmentent les technologues aujourd’hui.

Du fonctionnement du cerveau humain aux techniques de coordination des fourmis en cas d’absence de reine, la nature regorge de modèles qui pourraient aider les humains à redéfinir l’architecture même de l’informatique. Ainsi, afin de façonner la technologie de demain, il convient d’étudier attentivement la nature et d’en tirer au moins cinq leçons importantes.

1. Le cerveau humain : entre adaptabilité et économie d’énergie

Le cerveau humain est un paradoxe à lui tout seul : c’est un organe qui ne pèse que 1,4 kg en moyenne, qui consomme pratiquement autant d’énergie qu’une ampoule de 20 watts, mais qui est capable d’accomplir des tâches qui rivalisent avec celles effectuées par les supercalculateurs les plus puissants du monde. 

Pour ce faire, le cerveau s’appuie sur le traitement parallèle, l’activation clairsemée et la signalisation d’événement ; cela signifie que les neurones ne s’activent qu’en cas de besoin, contrairement au cycle incessant de mise en marche/arrêt des transistors au silicium.

Quelle leçon en tirer : l’avenir de l’informatique ne repose pas sur la puissance brute, mais sur une adaptabilité à la fois intelligente et économe en énergie.

2. L’ADN, le disque dur ultime de demain

Le stockage de données par ADN est une technique pleine de promesses. Un seul gramme d’ADN peut théoriquement coder environ 215 Po de données, soit une densité presque inimaginable et bien supérieure à celle que peut atteindre n’importe quel disque dur en silicium.

Contrairement aux disques durs, qui se détériorent en l’espace de quelques décennies, l’ADN peut rester lisible pendant des milliers d’années – à condition d’être conservé de la bonne manière. Par exemple, des chercheurs sont déjà parvenus à encoder plusieurs sonnets de Shakespeare, un film et même un système d’exploitation dans des brins d’ADN. En parallèle, des entreprises telles que Microsoft, en partenariat avec l’université de Washington, développent actuellement des systèmes automatisés de stockage d’ADN qui pourraient à terme remplacer les entrepôts remplis de bandes magnétiques par des laboratoires abritant des petits flacons.

Quelle leçon en tirer : le stockage n’a pas besoin d’être volumineux. Il peut être dense, durable et biologique. À l’avenir, les fermes de serveurs ressembleront peut-être davantage à des laboratoires de biotechnologie qu’à des datacenters en béton.

3. L’essor de l’intelligence en essaim : l’exemple des fourmis et des abeilles

La nature est ainsi faite : aucune fourmi ne connaît à elle seule les desseins de sa colonie. En revanche, en unissant leurs forces, elles sont capables de résoudre des problèmes qui déconcertent les systèmes centralisés : trouver le chemin le plus court pour atteindre la nourriture, s’adapter aux perturbations et faire régner l’ordre même dans des situations chaotiques. Ce phénomène, connu sous le nom « d’intelligence en essaim » (ou « swarm intelligence »), constitue un modèle puissant pour l’informatique distribuée.

Les informaticiens ont transformé ce phénomène en algorithmes de colonies de fourmis (ACO), qui imitent le comportement des fourmis à la recherche de nourriture. Les algorithmes d’ACO sont désormais utilisés dans le domaine des télécommunications, de la logistique et de la robotique, où ils surpassent les approches traditionnelles descendantes. 

En outre, la blockchain s’inspire également de la logique en essaim. Le consensus ne provient pas d’une autorité centrale, mais de nombreux nœuds qui se valident mutuellement, à l’instar des essaims d’abeilles qui s’accordent pour choisir le meilleur emplacement pour leur ruche.

Quelle leçon en tirer : les systèmes les plus évolutifs et les plus résilients ne sont pas contrôlés par le sommet de la hiérarchie. Ils sont le fruit d’une collaboration ascendante.

4. Atteindre la résilience grâce à la redondance biologique

Les systèmes biologiques sont complexes, mais résilients. Même si des cellules meurent constamment, les organismes, eux, continuent de vivre. L’ADN contient des codes correcteurs (ECC), les protéines se replient mal et sont recyclées, et les écosystèmes se rétablissent après avoir subi des chocs. À défaut d’être évités, les dysfonctionnements sont absorbés, favorisent l’adaptation et sont souvent source d’innovation.

Aujourd’hui, la technologie apprend à suivre le mouvement. Les infrastructures cloud intègrent désormais des mécanismes de redondance et d’autoréparation, ce qui permet aux services de rediriger instantanément le trafic en cas d’interruption d’activité. Par ailleurs, à l’image du système immunitaire, les réseaux d’autoréparation sont capables de s’autosurveiller et de corriger immédiatement les vulnérabilités identifiées, sans devoir recourir à une intervention humaine.

Quelle leçon en tirer : la perfection n’est pas une condition sine qua non à la survie. Il s’agit surtout de savoir se rétablir, s’adapter et être capable d’évoluer en fonction des changements rencontrés.

5. La photosynthèse et l’aube de l’informatique alimentée par la lumière 

Chaque jour, les feuilles accomplissent le même miracle : elles capturent des photons et les transforment en énergie chimique avec une efficacité quasi parfaite. Une étude menée en 2025 par l’université technique de Munich révèle que la photosynthèse utilise un état énergétique Qx ultra-rapide et de courte durée présent dans la chlorophylle, qui repose sur la cohérence quantique et le couplage vibronique, afin de canaliser l’énergie vers le centre de réaction en essuyant le minimum de perte.

Ce phénomène a inspiré le domaine de l’informatique photonique, qui remplace les électrons par des photons. La lumière se déplace plus rapidement que l’électricité et ne génère pratiquement aucune chaleur, ce qui promet des améliorations considérables en termes de vitesse et d’efficacité.

Quelle leçon en tirer : l’énergie ne se résume pas à sa seule production. Elle implique surtout un transfert fluide et sans aucune perte. À l’image des feuilles, la prochaine révolution informatique pourrait bien être alimentée uniquement par la lumière.

Plutôt que de simplement chercher à concevoir des puces plus rapides ou des datacenters plus grands, il serait plus judicieux de se concentrer sur des principes que la nature maîtrise déjà (efficacité, densité, collaboration, résilience et élégance énergétique) et qui pourraient façonner l’informatique de demain. Le cerveau, l’ADN, les fourmis, les cellules et les feuilles ne sont pas seulement des merveilles biologiques. Ce sont des prototypes vivants des technologies de demain, prêtes à être décodées et réinventées de mille façons différentes.

Depuis près de quatre milliards d’années, la nature mène le plus grand laboratoire de recherche et de développement au monde. Ses créations pourraient bien guider les humains vers une informatique non seulement plus rapide et plus intelligente, mais aussi plus durable, plus adaptative et profondément centrée sur l’humain, à condition d’apprendre à l’écouter et à la comprendre. Ainsi, la prochaine révolution technologique ne consistera peut-être pas à surpasser la nature, mais à apprendre à collaborer pleinement avec elle.

Par Priyanka Roy, Senior Enterprise Evangelist chez ManageEngine

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