En lançant ses Crédits Universels Multicloud, Oracle propose une rupture contractuelle inédite dans l’univers du cloud. Pour la première fois, une entreprise peut activer des services Oracle – y compris d’IA – sur AWS, Azure, Google Cloud ou OCI avec un seul crédit, un contrat unifié et une expérience de consommation cohérente.

Depuis plusieurs années, Oracle multiplie les passerelles multicloud : interconnexions avec Azure, intégration native de HeatWave sur AWS, offres Oracle Database@Google Cloud… Ces mouvements techniques ont préparé le terrain. L’annonce des Crédits Universels Multicloud (UCC) vient désormais aligner la couche contractuelle avec les réalités hybrides du marché. Oracle devient ainsi le premier fournisseur à proposer une facturation unifiée entre plusieurs hyperscalers, ce qui répond directement aux limites opérationnelles du multicloud classique : morcellement, surcoûts, redondance des processus d’achat. Derrière cette simplification, se dessine une nouvelle étape vers l’orchestration distribuée des charges IA, portée par des impératifs techniques, réglementaires et économiques.

Dans leur forme actuelle, les Crédits Universels Multicloud permettent à un client Oracle d’acheter un forfait prépayé de services cloud, valable sur tous les environnements où Oracle opère, OCI, mais aussi AWS, Google Cloud et Microsoft Azure. Cela inclut notamment les offres Oracle AI Database, HeatWave, Exadata Cloud@Customer ou encore Oracle Fusion Analytics. Le crédit est activé au sein du compte Oracle Cloud via une procédure standard, documentée dans les guides techniques. Il peut être intégré à un abonnement Oracle Fusion existant, avec ou sans migration des crédits existants, selon les versions logicielles (notamment 25.R1.P2 ou ultérieures). La promesse des Crédits Universels d’Oracle évoque celle de l’Union européenne lorsqu’elle a supprimé les frais d’itinérance mobile entre ses pays membres : vous changez de réseau, mais vous conservez votre contrat, vos droits et vos usages, sans surcoût ni complexité.

Un levier opérationnel pour les architectures IA distribuées

Cette approche suppose une centralisation des droits d’administration (groupe « OCI_Administrators »), et l’intégration des données d’usage dans un seul tableau de bord. En arrière-plan, Oracle gère l’attribution des ressources et la ventilation des consommations selon le cloud hôte, tout en assurant une portabilité contractuelle réelle pour les services IA. En pratiqeu, un client peut démarrer une charge d’inférence dans Azure, la déplacer sur AWS, la démultiplier dans OCI, tout en restant dans le périmètre d’un même contrat. Le multicloud devient ici unifié, non plus subi.

Le timing de cette annonce n’est pas anodin. Les entreprises basculent progressivement vers des architectures IA distribuées, dans lesquelles la chaîne de valeur, données, modèles, inférence, s’exécute sur plusieurs environnements selon les besoins : calcul intensif dans des régions GPU spécialisées, inférence contextuelle en périphérie, gestion des vecteurs ou des graphes de données dans des environnements réglementés. Ce morcellement impose une gouvernance cohérente et une capacité à coordonner plusieurs clouds sans pénalités techniques ou commerciales.

Dans ce contexte, les Crédits Universels agissent comme une « couche d’abstraction contractuelle ». Ils permettent aux DSI, aux responsables IA et aux architectes cloud de penser l’infrastructure en fonction de la logique métier (latence, réglementation, coûts) plutôt que des limites imposées par les fournisseurs. L’usage de l’IA devient ainsi modulable à la volée, avec la possibilité d’activer des briques de calcul, de stockage, de supervision ou d’analyse sur le cloud le plus pertinent, sans renégociation ni reconfiguration juridique.

Interopérabilité technique et limites documentées

La documentation Oracle, rarement évoquée dans les annonces officielles, apporte des nuances importantes. Elle précise que l’usage des crédits universels n’est pas systématiquement requis. Certaines fonctionnalités de Fusion Analytics ou de Fusion Intelligence peuvent être activées directement, sans conversion préalable de crédit, selon les versions et l’étendue du service. En revanche, pour les charges IA avancées, les besoins en capacité (CPU/GPU), en stockage externe, en connecteurs personnalisés ou en services annexes (gestion des clés, sécurité, données non Oracle) déclenchent automatiquement l’utilisation des crédits UCC. Cette dynamique impose donc une lecture fine de la matrice de consommation, mais confirme aussi l’ambition de faire du crédit unifié un outil souple mais exigeant, destiné aux scénarios complexes.

Oracle souligne également que l’usage des UCC s’intègre pleinement dans ses offres cloud, hybride et en périphérie : Dedicated Region, Alloy, Cloud@Customer ou Roving Edge Infrastructure. Tous ces environnements peuvent théoriquement consommer les mêmes crédits, à condition que les règles de déploiement soient respectées. Cette homogénéité étend donc l’impact de l’offre au-delà du multicloud stricto sensu, vers une gouvernance distribuée des ressources IA dans les environnements isolés, réglementés ou critiques.

Vers une nouvelle concurrence sur la gouvernance cloud

En proposant une standardisation contractuelle, Oracle prend de vitesse ses concurrents. Ni AWS ni Google Cloud ne proposent aujourd’hui de mécanisme équivalent permettant à un client de consommer des services sur plusieurs plateformes avec un seul crédit prépayé. Microsoft explore des offres de co-déploiement avec des éditeurs partenaires, mais sans unification réelle de la couche de facturation. Le positionnement d’Oracle est donc de faire de la gouvernance cloud, et non de la seule performance technique, un levier de différenciation.

Mais cette stratégie suppose une double acceptation du marché. D’une part, les clients doivent accepter de recentrer leur usage IA sur la pile Oracle (base de données, HeatWave, vecteurs, analytics). D’autre part, ils doivent faire confiance à l’éditeur pour gérer, mesurer et répartir les ressources intercloud de manière équitable. Cela implique une transparence sur les métriques de consommation (temps GPU, nombre d’inférences, débit réseau, etc.), ainsi qu’une intégration fluide avec les outils FinOps et les plateformes d’observabilité tierces.

Un signal fort : gouverner le multicloud comme un tout

Le lancement des Crédits Universels Multicloud dépasse l’innovation commerciale. Il s’agit d’un marqueur stratégique pour Oracle, qui veut faire émerger une nouvelle génération d’usages IA, dans laquelle les frontières entre clouds s’effacent au profit d’une logique contractuelle unifiée. Pour les directions informatiques, cela représente à la fois une simplification et une responsabilisation : possibilité de mutualiser, mais obligation de piloter. L’enjeu devient alors la gouvernance active d’une infrastructure composite, et non sa simple extension linéaire.

Si cette approche rencontre l’adhésion, elle pourrait préfigurer un mouvement plus large dans l’industrie. D’ici 2026, les modèles économiques du cloud pourraient évoluer pour intégrer des formes de « multicloud coopératif », dans lequel l’interopérabilité ne serait plus seulement technique, mais aussi commerciale, juridique et stratégique. Les Crédits Universels d’Oracle en offrent aujourd’hui la première esquisse concrète.

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