GPT‑5‑Codex marque un tournant dans l’évolution des agents IA appliqués au développement. Mais OpenAI n’est pas seul : Adobe, Salesforce, Workday ou ServiceNow investissent eux aussi ce terrain. Tous cherchent à intégrer la création logicielle au cœur des usages métiers, dans des environnements où l’agent devient un coéquipier à part entière. Cette mutation oblige les DSI et les directions métiers à repenser les rôles, les outils et la gouvernance logicielle.
Avec l’intelligence artificielle, les fournisseurs de solutions métier franchissent un Rubicon autrefois indépassable : celui de la production de code. Longtemps cantonnés à la fourniture d’applications verticales ou de plateformes métiers prêtes à l’emploi, ils s’aventurent désormais sur le terrain du développement, en intégrant des agents capables de générer, de modifier ou d’orchestrer du code au plus près des besoins opérationnels.
Cette bascule stratégique transforme leur position dans la chaîne de valeur numérique. L’annonce de GPT‑5‑Codex par OpenAI cristallise cette dynamique : elle illustre la convergence entre logique métier, raisonnement automatisé et exécution technique, au cœur même des environnements d’usage. Adobe, Salesforce, Workday, ServiceNow… tous reconfigurent leurs offres pour faire de l’IA une interface de production.
Dans ce paysage, les fournisseurs de modèles de langage (OpenAI, Mistral, Cohere, Google DeepMind, Anthropic…) occupent une position transversale. Ni éditeurs métier ni spécialistes du développement au sens traditionnel, ils ne livrent pas une solution métier, ni un environnement de développement intégré, mais une capacité d’inférence générale, une infrastructure cognitive de traitement des instructions humaines. En ce sens, ils opèrent à un niveau plus profond de la chaîne de valeur : celui de la sémantique, de la généralisation, du raisonnement automatique. Une mutation qui oblige les DSI et les directions métiers à repenser les rôles, les outils et les processus de gouvernance logicielle.
Pourquoi tous les fournisseurs cherchent à verrouiller ce marché
Ce basculement vers le codage agentique déclenche une offensive coordonnée des grands fournisseurs cloud, logiciels et plateformes métiers. Car en s’imposant comme l’interface entre les intentions des utilisateurs et leur traduction exécutable, l’agent IA redéfinit le rapport de force technologique. Celui qui contrôle l’environnement de développement IA devient le sous-traitant cognitif des organisations.
Dans ce contexte, verrouiller le poste de travail du développeur revient à s’assurer une rente logicielle à long terme. Là où Microsoft mise sur Copilot et Visual Studio, OpenAI structure Codex comme une plateforme cloud agentique. Adobe suit une autre voie, en glissant des agents dans ses workflows créatifs, marketing ou analytiques. Et les plateformes métiers comme Workday ou Salesforce investissent la personnalisation pilotée par IA pour que chaque utilisateur devienne, à sa manière, un producteur de logique exécutable.
Une convergence des acteurs, au-delà des outils de développement
À mesure que les plateformes s’agentifient, ces acteurs deviennent les fournisseurs d’énergie mentale des agents : ce sont leurs modèles qui interprètent les intentions, maintiennent le contexte, génèrent les actions. Leur pouvoir ne réside pas dans l’interface ou dans l’usage final, mais dans la capacité à structurer ce qui est pensable et exécutable par un agent. Ils fournissent l’équivalent, pour l’ère cognitive, de ce que les microprocesseurs étaient à l’ère de l’ordinateur personnel : des cœurs d’exécution invisibles, mais omniprésents.
Cette position stratégique leur donne un pouvoir ambivalent. Ils sont en mesure d’influencer en profondeur la conception même des agents, leur façon de raisonner, les biais qu’ils transportent, les limites qu’ils imposent ou repoussent. À travers des modèles propriétaires, ils s’introduisent dans tous les segments : développement, création, analyse, gestion. Leur rôle est donc transversal, infrastructurel et déterminant.
Ce mouvement ne se limite plus aux éditeurs d’environnements de développement. L’exemple d’Adobe et sa plateforme Firefly est éclairant. L’éditeur des créatifs et des designers y introduit une orchestration d’agents IA capables d’automatiser des chaînes de production de contenu. De la génération à la personnalisation, ces agents sont adaptés, connectés, et disposent de leur propre environnement de supervision. L’expérience d’Adobe préfigure ce que devient l’outil de développement : une plateforme où les agents interagissent entre eux autant qu’avec les utilisateurs.
Il en va de même pour les acteurs historiquement positionnés sur le CRM ou le SIRH, qui se dotent d’outils de génération de logique fonctionnelle ou de personnalisation dynamique pilotés par IA. Salesforce Einstein permet déjà de produire des fonctions Apex à la volée, tandis que Workday propose la création d’automatisations RH par consignes. Le développement logiciel se déplace, et s’émancipe des IDE traditionnels.
Les fournisseurs réorganisent leurs plateformes autour des agents
Les annonces récentes montrent une stratégie convergente : faire de l’agent IA non pas un simple assistant, mais une unité logique composable. Adobe organise Firefly autour d’agents chaînables. ServiceNow intègre la génération de scripts dans Now Assist. Salesforce crée une interface unique où l’agent peut agir sur les objets métiers. OpenAI, avec Codex, propose une architecture cloud où l’agent raisonne, exécute, teste, documente.
Le concept énoncé par les chefs produit reprend souvent la même idée : l’agent est le prolongement de l’intention de l’utilisateur. Il exécute, mais il observe aussi les routines, propose des raccourcis, anticipe des besoins. La logique de plateforme s’inverserait : ce n’est plus l’utilisateur qui compose ses outils, mais l’agent qui compose des micro-fonctionnalités adaptées à un moment, un contexte, un objectif. Cela oblige à une redéfinition des rôles intermédiaires face à l’IA. L’agent de développement n’échappe pas à ce bouleversement : le développeur devient superviseur, l’architecte devient chef d’orchestre, le manager produit devient stratège d’interfaces. Le code n’est plus un livrable, mais un processus opérationnel fluide, adapté, itératif, piloté par des intentions métier traduites par des agents outillés.
Reste une question centrale : où se situera la responsabilité ? Qui validera un code produit par un agent ? Quelle gouvernance encadrera les droits, la traçabilité, la conformité ? L’AI Act, comme les régulations sectorielles, force déjà les fournisseurs à intégrer ces réponses. Mais l’entreprise utilisatrice, elle aussi, devra redéfinir ses contrats, ses processus de validation, sa capacité à arbitrer entre automatisation et responsabilité humaine.