Google s’engage à acheter 200 MW d’électricité issue de la fusion nucléaire à Commonwealth Fusion Systems, et participe à une levée de 863 M $ pour soutenir la construction de la première centrale commerciale. Un signal fort : les géants du cloud investissent désormais massivement dans les technologies énergétiques de rupture pour sécuriser l’avenir de leurs centres de données.

Le cloud cherche son autonomie énergétique. La transformation numérique par l’IA et l’inférence s’accompagne d’une croissance exponentielle des besoins en énergie. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les centres de données pourraient consommer d’ici 2030 jusqu’à 4 % de l’électricité mondiale, un chiffre tiré à la hausse par l’essor de l’intelligence artificielle, du stockage massif, et du calcul haute performance. Pour les fournisseurs de cloud, cette trajectoire énergétique devient critique. Elle dépasse le simple enjeu environnemental pour toucher à la compétitivité, à la résilience et à la souveraineté opérationnelle.

Face à cette pression, les hyperscalers ne se contentent plus d’acheter de l’électricité verte sur les marchés classiques. Ils investissent directement dans les infrastructures de production, à coup de milliards, avec une priorité : garantir à long terme une énergie pilotable, décarbonée et à coût maîtrisé. En tête de ces paris industriels figurent désormais la fusion nucléaire, les petits réacteurs modulaires (SMR), la géothermie profonde ou encore les technologies de stockage de nouvelle génération.

Google investit dans la fusion

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’annonce conjointe de Google et de Commonwealth Fusion Systems (CFS), spin-off du MIT. CFS a pour ambition de commercialiser l’énergie de fusion grâce à une approche innovante et accélérée. Le géant californien a signé fin juin un contrat d’achat d’électricité portant sur 200 MW issus de la centrale ARC, que CFS prévoit de construire en Virginie à l’horizon 2030. Il s’agit de la première centrale de fusion commerciale prévue pour une mise en réseau réelle. Google renforce par la même occasion sa participation au capital de la société.

Quelques semaines plus tard, le 28 août, CFS annonce une levée de fonds spectaculaire de 863 M $ en série B2, réunissant Nvidia (via NVentures), Morgan Stanley, Breakthrough Energy, Temasek, ainsi que des fonds souverains et des investisseurs privés. L’opération porte le total des financements reçus par la start-up à près de 3 Md $, soit près d’un tiers des capitaux injectés dans le secteur privé de la fusion à l’échelle mondiale. Cet afflux de capitaux a pour but de finaliser le démonstrateur SPARC, qui doit prouver un gain énergétique supérieur à 1 (Q > 1), et à accélérer la construction d’ARC.

La fusion, pari spéculatif mais stratégique

Si aucun réacteur de fusion n’a encore produit plus d’énergie qu’il n’en consomme durablement, l’investissement des hyperscalers traduit une logique de couverture à long terme. En se positionnant dès aujourd’hui sur des technologies à fort potentiel, les fournisseurs de cloud cherchent à s’assurer un accès prioritaire à des sources d’énergie alternatives. La fusion incarne cette ambition ultime : une énergie dense, décarbonée, disponible en continu, et dont l’empreinte physique serait compatible avec les exigences des centres de données de demain.

Ce pari stratégique est révélateur d’une tendance plus large. Microsoft a investi dans Helion Energy (autre start-up de la fusion), Amazon s’intéresse à la géothermie profonde, et Meta participe à des programmes de recherche sur les SMR. Tous cherchent à réduire leur dépendance au réseau public et à anticiper les tensions sur l’approvisionnement, notamment dans les régions où l’installation de nouvelles infrastructures est freinée par la saturation du réseau ou les contraintes réglementaires.

Vers une redéfinition du modèle énergétique des infras numériques

Cette « intégration verticale » de l’énergie dans la stratégie des hyperscalers annonce une nouvelle phase de la transformation numérique. Les centres de données ne seront plus seulement des consommateurs : ils seront adossés à des capacités de production exclusives, intégrées ou contractualisées, qui deviendront un facteur de différenciation dans les offres cloud. Au-delà du greenwashing, c’est une bascule vers une « énergie d’entreprise », pensée comme un actif stratégique au même titre que les fibres optiques ou les usines de semiconducteurs.

Le cas de Google et CFS est emblématique : il illustre la convergence entre infrastructures critiques et technologies énergétiques de rupture. Si la fusion atteint la maturité industrielle dans la décennie à venir, elle pourrait apporter aux géants du numérique une souveraineté énergétique partielle, tout en redéfinissant les modèles d’implantation, de pilotage et de durabilité des infrastructures numériques globales.