Élaborée et publiée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), sous l’autorité du Premier ministre, et validée par le Président de la République, la Revue nationale stratégique de 2025 ne se contente pas d’ajuster les lignes. Elle opère un basculement doctrinal. Le modèle français de défense intègre désormais pleinement les champs numériques, cybernétiques et technologiques comme conditions de la puissance et de la sécurité. Elle identifie une nouvelle ligne de front, numérique cette fois, combinat cybersécurité et continuité nationale.
Dans l’esprit de ses rédacteurs, et à l’échelle nationale comme européenne, l’heure n’est plus à la dépendance maîtrisée, mais à la reconquête capacitaire. La montée en puissance d’un écosystème industriel agile, sécurisé et souverain est posée comme une priorité absolue. Entre « réarmement » technologique et autonomie stratégique,
la France change d’échelle.
Cybersécurité et continuité nationale : une ligne de front numérique
Selon l’analyse des rédacteurs de la Revue, les attaques contre les hôpitaux, les collectivités, les entreprises critiques ne relèvent plus du simple incident. Elles s’inscrivent dans une logique de confrontation hybride. Pour y répondre, la France définit dans un objectif stratégique central : bâtir une « résilience cyber de premier rang ». Il ne s’agit plus seulement de défendre les réseaux, mais de garantir la continuité de la Nation dans l’adversité numérique.La stratégie repose sur plusieurs leviers : montée en puissance des capacités de détection et de réponse ; renforcement de l’interopérabilité entre les acteurs publics et industriels ; et structuration d’une filière cyber nationale à la fois souveraine et réactive. Les investissements dans les compétences, la détection automatisée et la coopération européenne sont considérés comme des fondements aussi critiques que les systèmes d’armement conventionnels.
Développer, produire, déployer : telle est le nouveau triptyque qui guide les ambitions françaises en matière de technologies de défense. L’innovation n’est plus pensée comme un supplément stratégique, mais comme un actif structurant. L’Objectif stratégique 11 de la Revue appelle explicitement à faire de l’excellence scientifique, académique et industrielle le socle d’une puissance autonome. L’intelligence artificielle, l’informatique quantique, la robotique avancée, les composants critiques et les technologies du cloud souverain sont désignés comme domaines à sécuriser en priorité.
Cloud de défense, IA et composants critiques : bâtir la souveraineté
Plutôt que de préconiser l’indépendance, un état défensif de non-dépendance, la Revue vise plutôt à atteindre le pouvoir technologique souverain avec une maîtrise stratégique complète. En somme, l’indépendance des moyens, l’autonomie d’action et la souveraineté de décision. Une position forte face au projet hégémonique du Plan étatsunien pour l’IA. Les technologies numériques stratégiques, qu’il s’agisse de cloud sécurisé, de réseaux souverains ou d’IA militaire, sont devenues les nouveaux piliers de la dissuasion.La Revue acte la nécessité de disposer d’un cloud de défense hébergé sur le territoire national, exempt de tout risque d’extraterritorialité juridique, capable de traiter des données sensibles à tous les niveaux de classification. Elle insiste sur l’importance du chiffrement, de la supervision française et de la certification indépendante.
L’IA appliquée au ciblage, à la surveillance, au renseignement ou à la conduite des frappes est quant à elle décrite comme une technologie de rupture qu’il faut encadrer, maîtriser, adapter. La France prévoit d’adosser ses travaux aux exigences éthiques de l’OTAN et de l’Union européenne, tout en conservant sa capacité d’initiative autonome dans le développement de systèmes décisionnels intégrés.
Une doctrine nationale dans une Europe désunie
La Revue exprime une vision stratégique cohérente, mais qui tranche avec l’attentisme ou la prudence d’autres États membres de l’Union. Là où certains pays, en particulier en Europe centrale et orientale, continuent de voir dans la protection américaine (OTAN, cybersécurité contractuelle, industrie militaire) un socle incontournable, la France affirme la nécessité d’une autonomie de décision et de moyens à tous les niveaux.Ce choix n’est pas nouveau, mais il prend une tournure plus opérationnelle dans cette édition 2025. Il s’incarne dans la volonté d’investir massivement dans les capacités critiques, d’accélérer l’innovation duale, et de sécuriser les chaînes d’approvisionnement hors de toute dépendance prolongée vis-à-vis de puissances extra-européennes. Autrement dit : la France assume une souveraineté numérique non négociable, y compris si cela implique d’agir avant que l’Europe ne se dote d’une position unifiée.
Une autonomie assumée, validée par les tensions transatlantiques
Ce positionnement expose aussi une tension : celle entre l’ambition nationale et la réalité des coopérations européennes face à l’effondrement de la confiance transatlantique. La Revue reconnaît l’importance des partenariats (SCAF, IRIS², coopération cyber), mais trace une ligne rouge limpide : aucune stratégie de défense ne peut reposer sur des architectures techniques, juridiques ou industrielles partagées si elles ne garantissent pas l’indépendance des décisions et le contrôle des infrastructures critiques. C’est là que réside la singularité française : dans cette volonté de lier souveraineté informationnelle, innovation industrielle et autonomie stratégique dans une même dynamique, à rebours des dépendances prolongées qui caractérisent encore une grande partie du continent.À la lumière des événements de ces dernières années, ce que certains décrivaient naguère comme un isolement stratégique de la France s’avère être aujourd’hui une autonomie souveraine anticipée. La France n’a jamais craint de prendre ses distances avec le consensus mou européen ni de s’émanciper des dépendances structurelles à l’égard des États-Unis. L’instauration progressive d’une crise de confiance transatlantique, nourrie par les frictions commerciales, l’antagonisme assumé du Gouvernement et du Président américain ou les revirements diplomatiques, conforte le choix français d’une doctrine fondée sur la maîtrise nationale des moyens, des données et des décisions.
Ce positionnement ne procède ni du repli ni du rejet des alliances, mais d’une exigence de cohérence stratégique : aucun partenariat, aussi étroit soit-il, ne peut justifier l’abandon du contrôle de ses infrastructures critiques, de ses technologies sensibles ou de sa capacité d’action indépendante. En ce sens, la Revue stratégique 2025 ne fait pas qu’affirmer un cap, elle valide a posteriori une ligne de conduite que la France suit depuis plus d’une décennie dans le domaine du cyber, du cloud, de la défense et de l’innovation duale.