Le juge fédéral Amit Mehta a reconnu Google coupable d’avoir illégalement maintenu son monopole sur le marché des moteurs de recherche et de la publicité textuelle associée. Une décision fondatrice dans l’histoire du numérique, qui pourrait entraîner des remèdes structurels d’ampleur dans une seconde phase du procès.
Le moteur de recherche reste la porte d’entrée privilégiée vers Internet pour des milliards d’utilisateurs, mais cette position centrale n’est pas le fruit du hasard. Selon le jugement rendu le 5 août par le tribunal fédéral de Washington D.C., Google s’est « comporté en monopoliste » pour préserver sa domination sur deux marchés bien définis : celui de la recherche générale en ligne, et celui des publicités textuelles associées aux requêtes des internautes. Le juge Amit Mehta affirme que cette domination, acquise dès 2009, a été renforcée au fil des années par une série de contrats d’exclusivité anticoncurrentiels, en violation de la section 2 du Sherman Act.
Le tribunal s’est concentré sur les accords contractés par Google avec des acteurs stratégiques de la distribution numérique : Apple (pour Safari), Mozilla (Firefox), Samsung, Motorola, ainsi qu’avec les opérateurs AT&T, T-Mobile ou Verizon. Ces contrats garantissaient à Google d’être le moteur de recherche par défaut, sans alternative préinstallée sur les terminaux. En contrepartie, Google versait des sommes colossales, 26 milliards de dollars en 2021, sous forme de « partages de revenus publicitaires ».
Mais le tribunal va plus loin : il constate que Google n’a pas seulement construit son monopole, il l’a défendu activement, au moyen de stratégies contractuelles systématiques. Ces accords d’exclusivité interdisaient souvent la présence d’autres moteurs préinstallés. Le juge rappelle que Google connaissait parfaitement l’impact du paramètre par défaut sur les usages : la majorité des utilisateurs ne changent jamais les réglages initiaux. « Même si les utilisateurs peuvent théoriquement changer de moteur, ils ne le font que rarement », écrit-il, soulignant « la valeur stratégique exceptionnelle » de cette position. Le tribunal évoque ainsi une « défense méthodique du monopole ».
Selon le jugement, ces accords ont eu pour effet de verrouiller l’accès aux points d’entrée les plus fréquentés, empêchant les moteurs alternatifs comme Bing, DuckDuckGo ou feu Neeva de capter un volume d’utilisateurs suffisant pour atteindre l’effet de réseau et développer leurs performances. « Google a privé ses concurrents de l’échelle nécessaire pour exister », écrit le juge. Le tribunal réfute également l’argument selon lequel les utilisateurs pourraient simplement changer de moteur : les comportements d’usage sont majoritairement dictés par l’effet de défaut et l’automatisme, surtout en contexte mobile.
Une position dominante exploitée dans la publicité
Au-delà du moteur lui-même, le tribunal estime que Google a exercé une influence excessive sur le marché de la publicité textuelle intégrée aux pages de résultats. En l’absence d’une concurrence effective, l’entreprise a pu imposer des tarifs « supraconcurrentiels » aux annonceurs, et limiter volontairement les capacités de ciblage ou d’intégration multiplateforme pour protéger sa rente.
Les contrats d’exclusivité ont, selon le tribunal, « réduit les incitations à innover, limité les revenus publicitaires des rivaux et dégradé la qualité globale des annonces textuelles ». En revanche, le juge n’a pas retenu les accusations concernant l’ensemble du marché de la publicité de recherche, ni les griefs sur la plateforme SA360, estimant que les preuves d’effets anticoncurrentiels étaient insuffisantes sur ces volets.
Des remèdes à venir, potentiellement structurels
Ce jugement ne tranche pas encore la question des sanctions. Le procès a été scindé en deux phases : la première, aujourd’hui close, établit la responsabilité juridique, la seconde devra déterminer les mesures correctrices à mettre en œuvre. Plusieurs pistes sont évoquées : l’interdiction des clauses d’exclusivité, l’ouverture de certains accès techniques, voire des mesures de démantèlement partiel ou de scission fonctionnelle si les effets anticoncurrentiels s’avèrent structurels et durables.
La décision pourrait faire jurisprudence bien au-delà du cas Google. Elle remet en question le modèle même de domination par défaut, pratiqué depuis plusieurs décennies par les géants du numérique. Elle intervient par ailleurs dans un contexte d’accélération de la régulation technologique, tant aux États-Unis (DMA, AI executive orders) qu’en Europe (Digital Markets Act, IA Act, RGPD).