En inaugurant le GTC 2025 devant un parterre d’industriels, de chercheurs et de partenaires technologiques, Jensen Huang, fondateur et PDG de Nvidia, n’a pas seulement présenté une nouvelle génération de puces. Il a déployé une vision systémique de l’informatique du futur.

La vision de Jensen Huang est portée par une certitude : l’intelligence artificielle ne sera pas une simple couche logicielle ajoutée à l’existant, mais une réinvention complète de l’architecture numérique mondiale — matérielle, logicielle, et industrielle. Et Nvidia entend être le fournisseur mondial de cette transformation.

« Le calcul ne consiste plus à récupérer des fichiers, mais à générer des tokens », a-t-il lancé dans son discours d’ouverture. « Et la machine de demain est une usine à tokens. » La formule est frappante, mais elle résume bien la mutation à l’œuvre : les datacenters deviennent des usines d’intelligence, et chaque requête, chaque modèle, chaque agent numérique devient une chaîne de production à optimiser.

Le point d’inflexion technologique pour Nvidia est incarné par Blackwell Ultra, le nouveau processeur qui va bien au-delà d’une simple évolution de GPU. Grâce à l’interconnexion NVLink 72 et au logiciel d’orchestration Dynamo, Jensen Huang affirme que cette nouvelle plateforme peut livrer des performances 40 fois supérieures à celles de la génération précédente (Hopper) sur les tâches d’inférence IA complexes, à puissance équivalente. « Nous avons conçu un ordinateur capable de traiter des trillions de tokens — parce que les modèles IA de demain ne génèrent pas simplement des réponses, ils réfléchissent, planifient, apprennent. »

Couvrir la chaîne de valeur de l’inférence

Mais le vrai basculement ne se situe pas dans la seule performance brute. Il réside dans l’ambition de Nvidia de couvrir toute la chaîne de valeur de l’IA, depuis la fabrication du silicium jusqu’au déploiement de modèles de fondation, en passant par les bibliothèques logicielles, les moteurs physiques, les outils de simulation, les systèmes de stockage sémantiques, les interconnexions photoniques et l’orchestration logicielle distribuée.

Dans cette stratégie, chaque composant renforce les autres, comme l’a souligné Jensen Huang : « Il y a vingt ans, on avait une seule diapositive. Aujourd’hui, chaque bibliothèque CUDAx que vous utilisez, chaque framework que vous déployez, est une brique de cette infrastructure mondiale de l’intelligence ».

Cette architecture intégrée ne répond pas seulement à une vision, elle capte aussi une dynamique de marché. L’adoption de l’IA générative dans les entreprises, les administrations et les chaînes industrielles impose une standardisation rapide. Les directions informatiques cherchent des solutions robustes, performantes et immédiatement déployables, capables d’orchestrer modèles, données, agents et processus à grande échelle.

Chaque marché ciblé a sa pile complète

Et Nvidia ne se contente plus de fournir les hyperscalers. L’entreprise s’attaque désormais aux infrastructures IT traditionnelles : serveurs IA, stations de travail, microservices (NIM), stockage sémantique GPU-accéléré, IA de périphérie avec Cisco et T-Mobile, robots industriels et humanoïdes avec la plateforme Isaac et le modèle Groot N1. Chaque marché ciblé est appuyé par une pile complète, déjà opérationnelle.

C’est particulièrement flagrant sur le terrain de la robotique, où Nvidia propose une offre unique, alliant simulation (Omniverse), physique avancée (Newton), génération de données synthétiques (Cosmos) et modèle de fondation (Groot N1). « Tout ce qui bouge sera autonome. Et nous avons les outils pour entraîner, simuler, tester et déployer ces IA physiques, dans toutes les industries. »

Ce niveau d’intégration soulève néanmoins des questions. Nvidia devient, de fait, un fournisseur systémique de l’économie numérique, ce qui pourrait susciter des réactions : efforts d’internalisation, soutien aux standards ouverts, pressions réglementaires sur les logiques de verrouillage. Mais pour l’heure, aucun acteur concurrent ne semble capable de reproduire cette cohérence verticale, cet empilement technologique, ni cette capacité à livrer, à grande échelle, dès maintenant.

« La prochaine révolution industrielle n’est pas électrique, elle est cognitive. Et sa source d’énergie, ce sont les data centers réinventés en usines à IA », a affirmé Jensen Huang. À ses yeux, ce moment est fondateur.