Le quatrième baromètre international publié par EQS Group et la Haute école spécialisée des Grisons montre une montée en puissance des mécanismes d’alerte professionnelle. Alors que la directive européenne est entrée en vigueur en 2023, près de huit entreprises sur dix se sont dotées d’un dispositif, avec une nette progression depuis 2020. Au-delà des obligations légales, ces outils deviennent des leviers de gouvernance, de gestion des risques et de transformation organisationnelle.
Loin d’être une simple exigence de conformité, les dispositifs de signalement interne s’imposent désormais comme des instruments de pilotage éthique et stratégique. Selon le Whistleblowing Report 2025, mené conjointement par EQS Group – éditeur allemand de solutions cloud dédiées à la conformité et à la transparence – et la Haute école spécialisée des Grisons (Suisse), 77 % des entreprises interrogées disposent d’au moins un mécanisme d’alerte, qu’il soit destiné aux parties prenantes internes (63 %) ou externes (64 %). Cette enquête a été réalisée auprès de 2 200 entreprises réparties dans sept pays, dont la France, et repose sur une méthodologie rigoureuse articulant échantillonnage représentatif, analyse économétrique et segmentation par taille, secteur et niveau d’internationalisation.
Ce taux d’équipement a connu une forte progression ces dernières années, 39 % des répondants ont mis en place leur premier dispositif interne depuis 2020, et 44 % pour les alertes externes. Ce déploiement survient dans le sillage de la directive européenne 2019/1937 sur la protection des lanceurs d’alerte, transposée dans l’ensemble des États membres depuis décembre 2023. Mais il reflète aussi une prise de conscience plus large signifiant que l’alerte professionnelle n’est plus perçue comme un risque, mais comme une opportunité d’amélioration continue.
Des pertes réelles, des gains organisationnels
Les faits rapportés confirment que le risque n’est ni marginal ni théorique. En 2024, 39 % des entreprises sondées ont été confrontées à des comportements illégaux ou contraires à l’éthique en interne, et 34 % ont subi des dérives similaires dans leur chaîne d’approvisionnement. Le coût financier est notable : 40 % des organisations déclarent des pertes supérieures à 10 000 €, et 7 % font état de dommages dépassant les 100 000 €. Dans près de la moitié des cas, les dispositifs d’alerte ont permis d’identifier les deux tiers, voire la totalité des pertes.
Mais l’enjeu dépasse la seule dimension budgétaire. Les entreprises reconnaissent également des bénéfices immatériels comme l'amélioration de la transparence (89 %), la professionnalisation de la conformité (88 %), le renforcement des comportements éthiques (87 %). Ces effets vertueux nourrissent une dynamique de responsabilisation collective, et transforment la gestion de l’alerte en processus continu, intégré à la culture de l’entreprise.
Des dispositifs encore hétérogènes
Malgré les avancées, des disparités persistent selon les pays, la taille des entreprises et les canaux utilisés. En France, seules 56 % des organisations interrogées permettent aux parties externes de signaler un manquement, contre 72 % au Royaume-Uni. La question de l’anonymat reste elle aussi contrastée, car, si 62 % des dispositifs internes le permettent, seulement 42 % du côté externe. Or l’anonymat, bien que non obligatoire partout, est reconnu comme une condition essentielle pour instaurer la confiance et favoriser les signalements.
Du point de vue technologique, les canaux traditionnels dominent encore (courriel, visite physique, téléphone), mais les solutions spécialisées se développent avec 48 % des dispositifs internes s’appuyant désormais sur une plateforme web dédiée, et 38 % sur une application mobile. Ces outils proposent non seulement une meilleure traçabilité, mais facilitent aussi la gestion des dossiers, la protection des données et l’analyse statistique, notamment pour détecter des récurrences ou corréler les signalements avec d’autres risques opérationnels.
RH, finances, droits humains, des signaux différenciés
Les thématiques remontées varient selon la source du signalement. Les collaborateurs internes dénoncent principalement des problèmes liés aux ressources humaines, comme la discrimination, le harcèlement, les représailles, les conditions de travail… Du côté des parties externes (clients, fournisseurs, grand public), les alertes portent majoritairement sur la fraude comptable, les atteintes à l’intégrité ou les violations des droits humains dans la chaîne de valeur.
Cette segmentation souligne la complémentarité des deux canaux. Les mécanismes internes permettent d’identifier des tensions structurelles ou managériales qui pourraient fragiliser la cohésion sociale. Les alertes externes révèlent des risques réputationnels et de non-conformité, notamment dans un contexte de réglementation accrue sur la diligence raisonnable (Directive CS3D, loi allemande sur la chaîne d’approvisionnement, exigences ESG). Un système unifié, accessible à toutes les parties prenantes, permettrait de mieux corréler les signaux faibles et de structurer une réponse globale aux dérives.
Vers une gouvernance intégrée de la transparence
L’étude menée par EQS Group, qui fournit des plateformes de conformité, d’éthique, et de reporting ESG à plus de 14 000 organisations dans 80 pays, et la Haute école spécialisée des Grisons, via son centre PRME Business Integrity, révèle une tendance de fond. Les dispositifs d’alerte ne sont plus conçus comme une contrainte isolée, mais comme un maillon d’un système global de gouvernance. Leur mise en œuvre permet de mieux cartographier les risques, de déclencher des enquêtes ciblées, d’ajuster les processus internes et, le cas échéant, de revoir les politiques de sous-traitance. Pas mùoins de 85 % des entreprises déclarent avoir modifié leurs procédures suite à des signalements, et 82 % ont conduit des audits spécifiques.
Dans un contexte de resserrement réglementaire et d’attentes sociétales croissantes, le traitement de l’alerte devient un marqueur de maturité organisationnelle. Pour les entreprises opérant à l’international, c’est aussi un gage de résilience. L’enjeu, désormais, est de pérenniser ces dispositifs, de les articuler avec les systèmes d’information existants, et d’en faire un levier de transformation continue, en intégrant, pourquoi pas, les apports de l’intelligence artificielle dans l’analyse des alertes ou la prédiction des dérives.