Une étude menée par Osapiens et l’institut Fraunhofer IML révèle que la majorité des entreprises industrielles européennes peinent à digitaliser leurs processus de maintenance. Si la maturité progresse, la fragmentation technologique, la résistance culturelle et la difficulté à démontrer un retour sur investissement freinent encore la transition vers une maintenance intelligente et prédictive.

Le secteur industriel européen s’engage depuis plusieurs années dans une modernisation accélérée de ses pratiques de maintenance, avec des ambitions portées par la promesse de l’intelligence artificielle et de la supervision en temps réel. Pourtant, selon l’étude Industrial Maintenance in Transition, deux tiers des entreprises européennes en sont encore aux premiers stades de leur numérisation. Cette transformation, jugée stratégique, reste entravée par l’hétérogénéité des outils, la prévalence des processus réactifs et le manque d’intégration entre les systèmes existants.

Un secteur encore dominé par des outils fragmentés et des processus réactifs

La cartographie dressée par osapiens et Fraunhofer IML met en évidence une industrie à plusieurs vitesses. Un tiers des organisations planifie la maintenance via des ERP, tandis qu’une proportion équivalente s’appuie encore sur des feuilles de calcul. Lors de l’exécution, la réalité se complexifie : 59 % des entreprises utilisent toujours Excel ou Google Sheets, 49 % exploitent des ERP, et 41 % persistent à gérer la maintenance sur support papier. L’adoption des systèmes CMMS (Gestion assistée par ordinateur de la maintenance) reste marginale, seuls 6 % des industriels ayant franchi ce cap. Cette mosaïque d’outils traduit une difficulté à structurer des flux de maintenance intégrés et agiles, capables de basculer du réactif au préventif, voire au prédictif. La majorité des responsables interrogés reconnaissent un mélange de pratiques, rendant complexe la cohérence et la fiabilisation du processus global.

L’IA s’impose comme nouveau socle… mais le ROI reste à démontrer

Le retard constaté ne relève pas d’un simple déficit d’offre technologique. Selon l’étude, 43 % des répondants pointent la difficulté d’intégration avec les systèmes hérités comme principal frein à la digitalisation, tandis que la résistance culturelle concerne 38 % des entreprises. Près d’un tiers évoque également la rareté des ressources informatiques et le manque de compétences numériques pour exploiter les nouveaux outils. Ces freins recouvrent une réalité plus large : la maintenance numérique implique une redéfinition des rôles, des responsabilités et de la circulation de l’information au sein des équipes, bien au-delà du déploiement d’une application ou d’une plateforme.

L’intégration de l’intelligence artificielle marque une inflexion majeure dans les trajectoires de maturité. La majorité des entreprises utilise déjà l’IA de façon tactique — automatisation des flux (43 %), gestion des connaissances par assistants conversationnels (40 %), détection d’anomalies (34 %). Cependant, la bascule vers une maintenance prédictive, pleinement intégrée et mesurable, reste marginale. Si 92 % des industriels perçoivent le potentiel d’un retour sur investissement, la capacité à l’objectiver demeure limitée : seuls 40 % exploitent des tableaux de bord dédiés, et moins de 35 % intègrent leurs indicateurs avec les systèmes ERP ou les procédures opérationnelles numériques. Ce déficit de pilotage nuit à la visibilité des gains et freine l’adoption à l’échelle de l’organisation.

L’indice de maturité osapiens/Fraunhofer : une grille de lecture pour structurer la progression

Pour accompagner les entreprises, osapiens et Fraunhofer IML proposent un indice de maturité à cinq niveaux, véritable feuille de route pour passer des pratiques manuelles à la maintenance prédictive. Selon cette grille, 35 % des entreprises atteignent un niveau 2 (numérisation des fondamentaux), 25 % un niveau 3 (systèmes structurés type CMMS ou ERP), 10 % un niveau 4 (intégration avec la planification de la production), et seulement 5 % accèdent à une maintenance prédictive. Un quart des organisations restent au niveau 1, cantonnées à une gestion purement réactive. Cette cartographie objective les marges de progression et permet aux décideurs d’aligner leurs priorités d’investissement avec le potentiel réel de transformation.

La suite de la transition numérique se jouera sur la capacité des industriels à interconnecter leurs outils, structurer la donnée opérationnelle et rendre la valeur visible auprès des métiers. Selon Thomas Heller (Fraunhofer IML), la connectivité et la visibilité sur les processus et les équipes feront la différence. Daniel Schwarz (osapiens Asset Ops) souligne que les industriels capables d’objectiver les gains issus de la maintenance numérique en feront un avantage concurrentiel décisif dans un environnement industriel complexifié. Cette dynamique conditionne non seulement la productivité, mais aussi la conformité réglementaire et la résilience des chaînes de valeur. À terme, la maturité de la maintenance numérique s’imposera comme un facteur clé de compétitivité et de pérennité pour l’industrie européenne.

publicité