Confrontées à un ralentissement conjoncturel inédit, les ESN et les entreprises de l’ingénierie-conseil en technologies doivent repenser leurs fondamentaux. L’étude Grand Angle 2025, publiée par Numeum et KPMG, dresse le portrait d’un secteur en tension, mais déterminé à faire de la crise un levier de transformation. Valeur, innovation et responsabilité deviennent les nouveaux piliers de la compétitivité.

Les entreprises de services du numérique (ESN) et celles de l’ingénierie et du conseil en technologies (ICT) abordent 2025 dans un climat incertain. Selon l’étude Grand Angle menée par KPMG et Numeum, 42 % des répondants estiment que le redémarrage effectif de l’activité n’interviendra pas avant le premier semestre 2026. Cette prudence s’explique par un environnement macroéconomique instable et une demande encore trop faible, citée comme deuxième facteur de risque derrière la conjoncture globale (85 %). Mais loin de céder au repli, le secteur engage une réorientation stratégique vers des offres à plus forte valeur ajoutée. Ainsi, 29 % des entreprises placent désormais l’innovation technologique (intelligence artificielle, infonuagique, cybersécurité) au cœur de leur stratégie, contre seulement 16 % misant sur l’ajustement des ressources.

Ce repositionnement se traduit également par une diversification sectorielle et géographique, soutenue par des logiques de partenariats et d’acquisitions ciblées. Les DSI ne recherchent plus des prestataires à bas coût mais des partenaires capables de co-créer des solutions différenciantes. La croissance ne proviendra plus du volume de projets, mais de leur impact stratégique. Si 93 % du chiffre d’affaires reste généré en France, les modèles hybrides de delivery (nearshore, offshore) sont utilisés de manière ciblée pour des raisons de coûts, d’accès à des expertises ou de couverture géographique. Cette phase de recomposition pousse les acteurs à investir dans la valeur plutôt que dans la capacité brute.

Les talents, pivot stratégique d’un rebond durable

La transformation du secteur passe aussi, et inévitablement, par une reconfiguration des modèles de gestion des talents. Plus de la moitié des entreprises interrogées ont déjà identifié des compétences internes en intelligence artificielle ou en IA générative, et 52 % utilisent désormais des outils fondés sur l’IA pour cartographier les expertises et construire des plans de formation personnalisés. Contrairement aux craintes souvent exprimées, l’IA ne remplace pas les recrutements, seuls 18 % des répondants constatent une réduction des embauches liée à l’automatisation. La dynamique est donc à l’hybridation, avec une progression continue du recours aux indépendants, aux sous-traitants et aux statuts flexibles, qui représentent désormais jusqu’à 18 % des effectifs dans les grandes structures.

Les profils les plus recherchés reflètent les priorités du marché : conseil en transformation numérique (19 %), infonuagique (17 %), intégration de systèmes (13 %) et cybersécurité (9 %). L’enjeu n’est plus seulement quantitatif, mais qualitatif, car il s’agit d’attirer, de fidéliser et de faire grandir des collaborateurs aux attentes plus affirmées en matière de rémunération (63 %), de sens, de flexibilité et de trajectoires professionnelles. Par ailleurs, 35 % des entreprises ont déjà mis en place des dispositifs pour limiter le télétravail et favoriser un retour encadré au bureau. Cette tension entre flexibilité attendue et besoin de cohésion constitue un nouveau défi RH. L’étude révèle également que 41 % des entreprises forment activement leurs équipes à l’IA générative, confirmant la volonté de faire monter les compétences en interne de manière structurée.

Responsabilité et innovation : les nouveaux marqueurs de performance

La responsabilité environnementale et sociétale s’impose comme un facteur différenciateur dans les appels d’offres comme dans la fidélisation des talents. En 2025, 79 % des entreprises du secteur font de la réduction de l’empreinte carbone leur priorité RSE, et 60 % se fixent des objectifs chiffrés à un horizon de trois ans. Un tiers vise la neutralité carbone d’ici 2030. Ces engagements ne relèvent plus du discours. Pas moins de 87 % des répondants ont mis en place un suivi précis de leur empreinte. Le Green IT, la sobriété numérique et la conception de solutions à impact positif structurent désormais les feuilles de route d’innovation. Plus de la moitié des grandes entreprises et des ETI développent ou prévoient de développer des offres « Tech for Good » à finalité environnementale ou sociale.



L’éthique, la sécurité et la gouvernance responsable des technologies sont également dans l’agenda stratégique. L’intelligence artificielle générative, identifiée comme la première opportunité de marché par 81 % des répondants, est déjà utilisée dans les fonctions de livraison (72 %), d’administration (67 %), de recrutement (51 %), de stratégie marketing (46 %), de recherche de propositions commerciales (48 %) et d’expérience utilisateur (36 %). Néanmoins, l’étude indique que la part du chiffre d’affaires réellement générée par ces offres reste modeste. Dans une majorité des cas, elle ne dépasse pas 5 à 10 %. Ce décalage entre ambition stratégique et monétisation effective illustre les défis d’industrialisation et de rentabilité de l’IA générative à court terme. Il appelle à une gouvernance rigoureuse et à des modèles d’usage alignés sur les besoins des clients.

Un tournant structurel à saisir collectivement

Dans la conjoncture, pour le moins complexe et imprévisible, du moment, l’étude Grand Angle 2025 marque une un jalon stratégique majeure. Le contexte de budgets contraints, d’exigences accrues et d’instabilité géopolitique, les ESN et les ICT doivent redéfinir leur vision. Cela implique de passer d’un modèle de production à la tâche à un modèle de co‑construction de valeur, articulé autour de la souveraineté technologique, de la confiance numérique et de l’impact sociétal. Les donneurs d’ordre — publics comme privés — intègrent désormais les critères ESG, la performance carbone et l’éthique de l’IA dans leurs cahiers des charges : 67 % des grandes structures affirment que l’impact environnemental pèse déjà dans leurs choix de prestataires.



Les entreprises lauréates des Trophées ESN & ICT 2025 — Audensiel (croissance), OVHcloud (RSE), Keyrus (gestion des talents), Alten (innovation) et Numeryx (prix du public) — illustrent cette recomposition stratégique. Elles démontrent qu’il est possible de conjuguer l’innovation technologique à l’ancrage humain et à la performance durable. Le tournant de 2025 est donc moins un point bas, une crise en somme, qu’un point d’inflexion. Il appelle à une mobilisation collective pour reconstruire un écosystème numérique plus robuste, plus sobre et plus pertinent. À condition d’investir avec discernement, ce moment de tension pourrait bien devenir le socle d’un nouveau cycle de croissance, fondé sur la valeur, la confiance et l'impact.

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