Tandis que l’intelligence artificielle devient l’ossature des systèmes numériques modernes, les acteurs du semiconducteur changent de posture. Face à la domination de Nvidia sur le terrain de l’accélération brute, Intel, AMD et Ampere ne cherchent plus à rivaliser en puissance, mais pour devenir structurellement incontournables dans la chaîne de valeur de l’IA.

Le marché des semiconducteurs pour l’intelligence artificielle entre dans une nouvelle phase. Longtemps dominé par la course aux GPU, le centre de gravité semble progressivement se déplacer vers une autre forme d’intelligence : celle de l’orchestration, de l’efficacité énergétique, de la modularité. Intel, Ampere et AMD déploient des stratégies contrastées, mais convergentes sur un point : le rôle du processeur est en train de muter, d’agent de calcul à chef d’orchestre de l’infrastructure IA.

Les grands noms du semiconducteur — Ampere, Intel, AMD — ne cherchent plus simplement à vendre des puces, mais à se rendre indispensables dans la chaîne de valeur de l’intelligence artificielle. Ce changement d’attitude marque une rupture stratégique majeure : il ne s’agit plus de livrer des composants, mais de devenir des points d’ancrage incontournables des architectures IA.

Pour cela, chaque acteur déploie une stratégie d’intégration visant à occuper un rôle structurant dans les nouvelles piles technologiques. Intel ne veut plus seulement être un fournisseur de processeurs : il veut devenir l’orchestrateur invisible de l’IA accélérée, celui qui coordonne les flux entre GPU, mémoire et réseau, qui assure la fiabilité du traitement, qui garantit la cohérence entre les étages logiciels et matériels. Son ambition : faire du CPU un hub logique, sans lequel les architectures IA massives deviennent instables
ou inefficaces.

Intel : le CPU devient le métronome du GPU

La dernière offensive d’Intel avec ses processeurs Xeon 6, et en particulier le 6776P, l’illustre parfaitement. Loin de chercher à rivaliser frontalement avec les GPU sur le terrain de l’entraînement massif, Intel mise sur une stratégie de cohérence de la chaîne de traitement. Son processeur, embarqué dans le système Nvidia DGX B300, est conçu pour orchestrer les interactions entre composants : supervision des flux mémoire, gestion des priorités, prétraitement des données et réduction des goulets de latence.

L’introduction de technologies comme Priority Core Turbo ou Speed Select — Turbo Frequency permet une hiérarchisation dynamique des cœurs en fonction de leur rôle dans la charge. Ce n’est plus seulement une question de puissance brute, mais de synchronisation intelligente entre CPU et GPU. Le Xeon 6 s’affirme ainsi comme un
co-processeur orchestral, dont la valeur réside dans sa capacité à piloter un système hétérogène avec une fiabilité et une réactivité maximales. C’est un retour stratégique aux fondamentaux de l’informatique système, dans un contexte où chaque cycle compte pour entraîner ou inférer un modèle LLM.

Ampere : la contre-attaque CPU-native et éco-efficiente

Face à Intel et Nvidia, Ampere déploie une vision alternative. Avec AmpereOne M, la société mise sur une architecture CPU haute densité et haute bande passante mémoire, conçue pour suffire seule à certaines charges d’inférence, sans recourir à des GPU. Le choix d’implémenter 12 canaux de mémoire DDR5 n’est pas seulement une prouesse technique. Il permet de soutenir des charges IA intensives en données dans une configuration CPU-only, avec une efficacité énergétique notable.

De plus, Ampere ne se contente pas de produire des puces : elle structure un écosystème ouvert, via son programme Ampere Systems Builders, basé sur la norme DC-MHS. À contre-pied des plateformes fermées (HGX, DGX, etc.), Ampere promeut un modèle de plateforme modulaire, interopérable, composable. Son ambition est de proposer une infrastructure IA distribuée, ouverte et durable, adaptée aux contraintes des déploiements Edge, souverains, ou spécialisés — là où les géants du GPU imposent des architectures rigides et coûteuses.

AMD : entre surpuissance et mise à l’échelle cloud-native

De son côté, AMD continue de capitaliser sur la montée en puissance de ses processeurs EPYC Genoa et Bergamo, avec jusqu’à 96 cœurs Zen 4 et une prise en charge étendue de la mémoire et de l’IO. Ces puces, déployées chez les hyperscalers et les fournisseurs cloud, visent à absorber les charges de travail hétérogènes — du calcul intensif au traitement
IA — sans rupture de chaîne. Si AMD ne développe pas (encore) d’écosystème ouvert équivalent à celui d’Ampere, ses efforts en matière de performance/watt, de mise à l’échelle et d’optimisation du pipeline CPU-GPU s’inscrivent dans la même dynamique : étendre le rôle du CPU dans l’architecture IA, au-delà du calcul généraliste.

Vers une recomposition du paysage de l’IA

Ces stratégies révèlent une recomposition profonde du rôle du CPU dans l’infrastructure IA. Les concepteurs de processeurs ne cherchent plus à rivaliser avec le GPU, mais à l’encadrer, le piloter, ou dans certains cas à le remplacer pour des cas d’usage ciblés. Là où le GPU excelle dans le calcul parallèle massif, le CPU redevient essentiel pour tout ce qui relève de l’orchestration, du contrôle, de la flexibilité système.

En fait, ce n’est pas tant la supériorité intrinsèque du GPU qui l’a imposé dans l’inférence IA, mais la nature même des modèles et des charges de travail de l’IA, en particulier avec les grands modèles de langage. Ces derniers reposent sur des mécanismes de tokenisation, de calcul matriciel dense et de traitements hautement parallélisés, qui correspondent parfaitement à l’architecture du GPU — initialement conçue pour le rendu graphique massif.

Pour grignoter cette suprématie, Intel joue la carte du pilote intégré pour GPU, Ampere celle de la plateforme CPU-native ouverte, et AMD celle du processeur universel pour cloud et datacenters hyperscale. Cette tripartition esquisse un nouvel équilibre, où le choix du CPU devient stratégique, non plus comme support du système, mais comme levier de différenciation dans un monde où l’IA devient omniprésente. Le CPU n’est plus l’acteur secondaire qu’il était devenu à l’ère du tout-GPU. Les concurrents de Nvidia cherchent désormais à en faire le garant de la fluidité, de la modularité, et de la durabilité de l’infrastructure IA.