Les autorités chinoises demandent à Nvidia de prouver l’innocuité de ses puces H20, relançant les tensions sino-américaines autour des semiconducteurs d’IA. Cette requête intervient au moment même où Nvidia vient de reprendre la vente de ses puces à la Chine, après une interdiction américaine levée en juin.

Selon l’agence Reuters, des représentants de l’entreprise américaine ont été convoqués par la Cyberspace Administration of China (CAC), qui exige des « preuves de sécurité » sur les puces H20 destinées au marché chinois. Dans un éditorial publié le 1er août dans le
« People’s Daily », la presse d’État demande à Nvidia de regagner la confiance des utilisateurs en apportant des éléments concrets attestant l’absence de « portes dérobées » dans ses puces. Cette demande intervient dans un contexte de relance stratégique des exportations vers la Chine, alors que Nvidia a recommencé à fournir ses puces H20 — version bridée du H100 — après plusieurs mois d’interdiction liée aux sanctions américaines sur les composants critiques de calcul pour l’IA.

Nvidia a officiellement recommencé à vendre à la Chine le modèle de puce H20, sa puce d’intelligence artificielle conçue spécifiquement pour rester conforme aux restrictions américaines sur les exportations de semiconducteurs avancés. Cette puce a été développée après l’interdiction, par les autorités américaines, d’exporter vers la Chine des modèles plus performants comme les Nvidia H100, H200, A100 et B200. Bien que la H20 ne soit pas aussi avancée que ces derniers, elle reste le modèle le plus puissant que Nvidia puisse légalement vendre à la Chine, et cible surtout les applications d’inférence pour l’IA.

Une méfiance stratégique sur fond de rivalité technologique

Le regain de tension ne se limite pas à la sécurité technique. Il s’inscrit dans une dynamique plus large : celle d’une course mondiale pour la maîtrise des semiconducteurs spécialisés dans l’IA. Pour Pékin, cette demande de clarification s’apparente à un message diplomatique autant qu’à une précaution technique. La reprise des livraisons par Nvidia survient après un accord signé en juin entérinant l’échange de terres rares
contre des puces d’IA.

Les grands acteurs chinois comme Tencent, Alibaba ou ByteDance dépendent toujours fortement de la puissance de calcul des GPU Nvidia pour leurs modèles d’IA, notamment grâce à l’écosystème Cuda, que les alternatives locales peinent encore à égaler. De son côté, le gouvernement américain sécurise ses importations de terres rares et ménage les affaires des entreprises locales. La relance de ces ventes représente un énorme marché pour Nvidia (plus de 17 milliards de dollars de ventes en 2024 en Chine), avec une croissance soutenue attendue pour 2025.

Sur le fond, les autorités chinoises s’inquiètent d’une possible désactivation à distance ou d’un bridage logiciel susceptible de limiter la performance réelle des puces H20 en contexte d’entraînement de modèles d’IA. Le Chip Act américain prévoit en effet des mécanismes techniques de contrôle pour éviter les détournements militaires. Pékin redoute que ces mécanismes puissent se traduire par une surveillance ou un sabotage technique déguisé. L’exemple du chasseur F34 est dans tous les esprits et les précédents abondent. Depuis plus d’une décennie, les révélations de programmes comme PRISM, les accusations d’écoutes via les équipements réseau, ou encore la mise en évidence de failles intentionnelles dans certains firmwares américains ont alimenté une méfiance durable envers les technologies conçues aux États-Unis.

Plus récemment, des chercheurs en cybersécurité ont pointé des vulnérabilités critiques dans des firmwares de composants réseau ou des processeurs, parfois liées à des fonctionnalités d’administration à distance difficilement désactivables. Cela alimente aujourd’hui les soupçons sur les capacités d’écoute, de blocage ou d’exploitation à distance des infrastructures critiques. Ce que fait la Chine aujourd’hui vis-à-vis de Nvidia est exactement le miroir de ce que les États-Unis ont exigé vis-à-vis de Huawei, en invoquant les mêmes principes. Et cela n’a rien d’exceptionnel : surtout quand le fournisseur est un rival stratégique, la demande de garanties objectives devient non seulement
légitime mais incontournable.

Nvidia en équilibre instable entre les deux puissances

Pour Nvidia, la reprise des ventes de puces H20 permet de regagner une part du marché chinois sans contrevenir aux réglementations américaines. Ces puces, bien que limitées par rapport aux H100, restent très demandées par les géants chinois de la technologie. La Chine représenterait encore, selon plusieurs analystes, jusqu’à 20 % du potentiel de chiffre d’affaires mondial de Nvidia dans l’IA.

Mais la pérennité de cet accord reste soumise aux aléas de la politique étrangère et économique des deux puissances, augmentée par l’incertitude sur les revirements de l’administration étatsunienne actuelle. Pour certains experts, cette décision risque de soutenir indirectement la montée en puissance de l’IA chinoise, notamment dans des secteurs sensibles (défense, cybersécurité…), avec un possible retour de flamme et un durcissement à terme des règles d’exportation si la Chine en tire trop d’avantages.

Pour sa part, Pékin pourrait profiter de cette accalmie pour accélérer la promotion de ses champions locaux du semiconducteur, comme Huawei (avec ses puces Ascend) ou Biren Technology, tout en exerçant une pression réglementaire sur les fournisseurs étrangers afin de créer un terrain plus favorable à la substitution technologique nationale. Les futures politiques américaines dans ce domaine resteront donc volatiles, avec une logique d’intérêts nationaux et de concurrence exacerbée.

Une pression géopolitique sur le secteur de l’IA

La puce H20 n’est pas un simple composant. Elle représente un symbole de la dépendance technologique croisée entre les deux premières puissances économiques mondiales. À travers cette demande de clarification, les autorités chinoises rappellent que la confiance dans les technologies étrangères doit désormais être contractualisée, auditable, et alignée avec les intérêts nationaux. Cette posture pourrait s’étendre à d’autres segments stratégiques : cloud, cybersécurité, logiciels embarqués, voire quantique.

Pour les entreprises européennes et internationales, cet épisode illustre les risques croissants liés à la fragmentation technologique mondiale et aux intérêts stratégiques des grandes puissances. Les puces et les terres rares sont devenues des leviers de négociation dans des domaines bien plus larges, incluant la défense, l’énergie, l’accès aux marchés émergents, ou encore le climat.